FEVRIER (Articles)

posté par capitaine56 , Toujours près de la mer, 31/01/23, 19:15
(Modifié par capitaine56 le 31/01/23, 19:24)

Voici venir la troisième partie des aventures de mon ami pilote de bombardier-joaillier-horloger.

Je voudrais tout d'abord prier mes lecteurs d'excuser un mouvement d'humeur provoqué par un HS, accentué par ma santé chancelante et aggravé par les méfaits du grand âge.

Reprenons le monologue de mon ami bientôt centenaire.

Aujourd’hui, je n’ai plus qu’une demi-douzaine de montres. Je vous en ai amené quelques unes : des Zénith dont je vous ai déjà parlé et deux ou trois autres.
Vous voyez à mon poignet ce chronographe El Primero ? C’est le Chronomaster GT Flyback, le plus complexe de la gamme avec phase de lune et autres complications : jours, dates, mois.

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Le Flyback, me direz-vous, voilà une subtilité bien utile pour un pilote ! Bof … ouais... Dans mon Lancaster, il y avait une montre au tableau de bord, une Smiths mécanique et nous n’utilisions que celle-ci. Il en fut de même dans tous les avions que j’ai pilotés depuis lors et il y en eut ! Je totalise la bagatelle de 2350 heures de vol, dont un grand nombre en tant qu’instructeur. Qu’importe, je suis ici pour parler de montres, pas de moi. J’ai donné ses premières leçons de pilotage à un navigateur que vous avez un peu connu, je crois : Eric Tabarly. Ce Tabarly ! La discipline et lui...
Son épouse fut par la suite l’une de mes clientes au magasin.

Donc, le Flyback, c’est beau. Beau, mais quasiment inutile. Entre nous, qui utilise vraiment un chronographe aujourd’hui ? Alors un Flyback ...

La seconde est aussi un chronographe automatique El Primero, moins compliqué, mais monté dans un boîtier rectangulaire que j’adore, avec ses anses articulées. C’est celle que je porte régulièrement.
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La troisième est toujours un El Primero, encore un Flyback, avec lunette tournante mais sans phase de lune ni dateur complet.

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Avec les autres, j’ai été infidèle à ma marque favorite. Voici ma petite Vacheron Constantin mécanique, remontage manuel, boîtier en or. C’était en son temps le calibre le plus plat du marché. N’est-elle pas superbe ? Il lui faudrait bénéficier d’une révision, car elle n’a jamais servi et les huiles sont gommées, mais à qui la confier ? Vous connaissez quelqu’un qui pourrait le faire ? Parfait ! Nous irons lui rendre visite.

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Avez-vous remarqué ? Beaucoup de ces montres ont perdu leur bracelet d’origine. C’est aussi mon choix : j’avais la coquetterie de commander tous mes bracelets chez Camille Fournet et de les faire marquer à mon nom.

Je possède aussi une curiosité qui m’a été offerte par son créateur : une Patton de plongée. Oui, je sais, c’est du quartz, mais ne faites pas la fine bouche ! C’est qu’elle est étonnante, cette montre ! D’abord, elle a été conçue en France, par l’un de mes amis, Jean Louis Le Bec, qui exerçait à Lorient. Je crois que le choix du nom « Patton », est dû au souvenir de la campagne de Normandie en 1944 et de la percée d’Avranches menée par le général de ce nom.

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Voyez-vous ce qui fait la particularité de cette montre ? Regardez bien. C’est cela : le mouvement à quartz, conçu également par Le Bec, baigne dans un liquide, comme le montre la bulle visible actuellement sur le chiffre douze, ce qui assure une résistance à la pression exceptionnelle.

Une montre homologuée étanche à 1000 mètres, cela ne court pas les rues ! Celle-ci est neuve de stock et pour me faire plaisir elle porte le chiffre 24, celui de mon année de naissance, sur une présérie de 100 exemplaires. Conçue en France, elle n’en porte pas moins la mention Swiss made, car elle fut assemblée dans ce pays. Cela fait vendre.

Mon ami Fred Lip l’avait bien compris qui, à la suite des mouvements sociaux que vous connaissez, avait entrepris de fabriquer des montres LIP « Genève ».

A propos de lui, je me souviens d’une anecdote dont très peu de gens eurent connaissance, sinon ceux qui l’ont vécue :

Revenant en sa compagnie de Suisse avec un lot de Lip Genève, nous sommes arrêtés à la frontière par des douaniers qui envisagent de fouiller sa voiture. La colère prend notre homme, une colère rouge, et le voici qui entreprend de se dévêtir, qui se met totalement à poil et qui hurle aux douaniers en tournoyant sur lui-même :

« Et bien ! Fouillez-moi, maintenant ! »

L’un des gabelous tente bien de préserver la pudeur de notre héros à l’aide d’une serviette tout en protestant :

« Voyons, Monsieur Lip, cela ne se fait pas, calmez-vous ! »


rien n’y fait, au contraire, et dans la plus grande confusion, nous quittons l’Helvétie sans autre forme de procès. On savait rire en ce temps-là !

Voyez-vous, de mon ancien métier, je n’ai pratiquement gardé que des objets que j’ai fabriqués de mes mains. Quant aux montres... je ne sais même pas ce que j’ai fait de ma layette d’outillage. Sans doute ai-je dû la donner. Peu importe.

Finalement, je préfère certains mes souvenirs :

Ma présentation au Général de Gaulle à Londres en tout début 1943 ; imaginez cela : je n’ai encore que 18 ans ! Ma seconde rencontre avec lui, Président de la République, lors de son passage à Quimper :

« Ah ! C’est vous le monégasque breton ! »


Certes, on avait certainement dû peu avant lui rappeler qui j’étais, mais bon ...
Mes œuvres de joaillerie ; mes nombreux voyages en Suisse où j’ai toujours reçu le meilleur accueil, malgré l’attitude condescendante, pour ne pas dire plus, de nos voisins Helvètes vis à vis des Français ; mes relations amicales avec Fred Lip chez qui je ne manquais pas de m’arrêter lors de mes voyages et tant d’autres : Huguet à Nantes qui fut le centre de révision de toutes les Rolex en France ; Daguzé, joaillier, lui aussi, dans la même ville, que Jaeger Le Coultre et Hermès trahirent de la pire façon après que son gendre, Williamson, ait pris sa succession ; Charles Le Fèvre, le directeur commercial de Vacheron Constantin qui me proposa un jour de racheter à parts égales rien moins que la marque Breguet, alors à vendre pour cinquante millions de francs. Cinquante millions d’anciens francs, bien sûr, offre que je repoussai au prétexte que, de ma lointaine province, je ne pouvais pas participer à la direction d’une affaire située à Paris ; eh oui...on n'est pas toujours malin; et tant d’autres dont j’ai oublié les noms !
Tenez, encore une anecdote à propos de Charles Le Fèvre :

Un beau jour, Vacheron et Constantin eut l’insigne honneur d’être distingué par le diplôme « Prestige de la France ». C’était la première fois qu’une manufacture horlogère, étrangère de surcroît, recevait ce trophée. Je me trouvais au nombre des invités qui se pressaient au Ritz, ministres, hommes politiques, industriels et figures du show-biz mélangés. Le lendemain de cette mémorable journée, je me retrouve dans le bureau de mon Le Fèvre, afin de lui passer quelques commandes.

Arrive l’un de ses collaborateurs qui vient lui présenter le premier exemplaire de la version pour dame de la fameuse montre, le N°1.

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Nous contemplons l’objet et je me risque :

« Vous me la vendez ?
-Ma foi, pourquoi pas ?
-Ça marche ! »

Et voilà comment cette montre prit le chemin de la Bretagne…où elle se trouve toujours. Vous êtes bien placé pour le savoir!

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Certains souvenirs sont infiniment moins agréables. A l’été 1980, je suis victime d’un « casse » particulièrement violent. Deux voyous se présentent à mon domicile, me braquent ainsi que que mon épouse et mon neveu, alors en vacances chez moi. Ils nous emmènent à mon magasin et, pistolet sur la nuque, m’intiment l’ordre d’ouvrir mon coffre. Ils ignorent, à l’évidence, que j’en compte trois : le premier pour mes bijoux de stock, le second pour les pierres précieuses non montées, le troisième renfermant les bijoux appartenant à mes clients. Je ne donne la combinaison que du premier sur lequel les deux lascars se précipitent. Après quoi, ils nous traînent jusqu’à leur voiture où ils s’engouffrent, nous abandonnent sur le trottoir et bye bye ! Ils seront arrêtés quelques mois plus tard, jugés et écoperont de douze ans de cabane, mais moi, je me suis fait délester de plus de quatre millions de francs, nouveaux, ceux-là, dont une bien faible partie sera remboursée par l’assurance. L’instigateur du braquage n’était autre, tenez-vous bien, que le commercial qui m’avait vendu le système de sécurité de mon magasin !

Au mois de décembre de l’an 2000, la ville subit des inondations catastrophiques. Tous les immeubles de ma rue se retrouvent sous plus d’un mètre d’eau, pendant des jours et des jours. Mon atelier est ravagé et la plus grande partie des montres que je détiens est endommagée ; certaines le sont de façon définitive. Allons, ce n’est qu’un incident de plus ! Je ne baisse pas les bras et je redémarre.

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Et puis, un beau jour, j’en ai assez : Je prends la décision de me retirer. Je propose à mes deux collaborateurs de racheter mon affaire. Hélas, ils ne sont pas faits pour s’entendre en dehors de ma présence : l’un, le joaillier, est disons... bordélique, accusé par l’autre d’être crasseux. Évidemment, la joaillerie, ça fait de la poussière ! l’autre, l’horloger, est un maniaque méticuleux. Je décide alors de baisser définitivement le rideau et de vendre les murs après avoir placé mes deux bonshommes chez des confrères. J’avise donc par courrier mes clients de mon départ à peu près en ces termes :

« C’est à regret que je vous informe qu’il est temps pour moi de partir en pré-retraite. »

Nous sommes en 2003 et je n’ai, tout compte fait, que 79 ans. Il me reste tant de choses à faire ! Je me consacre à des expertises, je donne des cours de joaillerie, je continue à dessiner des projets de bijoux, j’en répare parfois, pour de bons amis, je fais de la musique, car j’adore jouer de la guitare, du piano et de la clarinette, je pratique régulièrement la plongée sous-marine, l’équitation aussi, et même le kayak de mer. Un jour que je j'avais entrepris de me rendre aux îles des Glénans, me voici intercepté par la Gendarmerie Maritime qui me ramène à mon point de départ en remorque de leur vedette. Peu importe que je leur affirme avoir effectué cette promenade à de nombreuses reprises, ils estiment qu'à 85 ans, ce n'est la raisonnable et surtout, je vole ! C’est de tous mes souvenirs, celui qui restera le dernier et le meilleur. Pourtant, en 2009, par prudence pour mes amis passagers que j’emmène parfois faire le tour du Mont Saint Michel, par exemple, alors que j’ai atteint ma quatre-vingt cinquième année, je cesse de piloter un avion.

Mais bon, il me reste encore ma voiture ! Et mon vélo !

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MON Lancaster:
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Je tiens beaucoup à ma montre, c'est mon Grand Père qui me l'a vendue sur son lit de mort (W. Allen)


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