FEVRIER (Articles)

posté par capitaine56 , Toujours près de la mer, 16/12/22, 16:21
(Modifié par capitaine56 le 16/12/22, 16:49)

CHAPITRE DEUX:

A l’issue des hostilités, les Anglais, toujours convaincus que je suis Québécois, m’offrent à la fois de demeurer dans la RAF et la nationalité britannique. Je refuse car je n’ai qu’une hâte : revoir la France. De retour dans ma terre natale, me voici automatiquement versé comme officier dans l’Aéronavale. Bien qu’ayant un moment envisagé de rejoindre Air France, qui recrute à tout va, et de rester pilote, je décide, sous la pression paternelle, d’exercer la profession pour laquelle j’ai été formé à l’école de bijouterie de Nice où j’ai passé mon C.A.P. : je serai joaillier.

Me voici de retour sur la Côte d’Azur, à Monte Carlo, où je fais mes premières armes dans ma profession. Et quelles armes ! Il m’arrive de travailler pour Ali Khan, pour la célèbre « Môme Moineau », Lucienne Dhotelle, la femme la plus riche du monde, pour laquelle je suis chargé un jour, toutes affaires cessantes, d’orner de pierres précieuses les hauts talons recouverts d’or qu’elle entend porter au plus vite pour danser sur les tables lors d’un dîner qu’elle projette d’organiser au Country Club.

[image]

La Môme Moineau, son avion, l'une de ses voitures


Ainsi fut fait, mais aussi vite qu’il m’est possible, je rejoins ma province natale, bien loin de la côte d’azur. En effet, je suis né en Bretagne, d’une mère Bretonne, de grands parents Bretons et je me sens breton jusqu’au bout des ongles, quand bien même mon Papa soit d’une toute autre origine.

Après avoir œuvré à Monaco, c’est à Quimper, sur les rives de l’Odet, dans une région où n’existent encore que peu de joailleries que je vais enfin me rendre pour y exercer mes talents et c’est là que va débuter ma troisième vie.
Du 1er décembre 1947 au même jour anniversaire, 1er décembre de l’année 1967, je travaille en chambre pour une clientèle privée et en sous-traitance pour de grandes marques de joaillerie. Vous avez remarqué ? Premier décembre, jour de la Saint Éloi, patron des métiers du métal, donc des horlogers, des joailliers et des orfèvres. Amusant, non ?

(Il chantonne en riant) :
« Trois orfèvres, à la Saint Éloi … »

Gagnant convenablement ma vie, j’ouvre au début de 1968 un magasin dans un bel immeuble de la vieille ville pour y développer encore mon activité de joaillier. Bientôt je suis sollicité par des marques d’horlogerie, ce qui ne m’attire guère. Pendant près de deux ans, Rolex va tenter de franchir ma porte. Je finis par céder à la fin de 1969. Vient le tour de Cartier, que j’accepte de représenter en 1970, après avoir longtemps tergiversé. Nous voici arrivés dans le vif du sujet !

Soyons clairs : je n’avais pas alors d’attirance particulière pour l’horlogerie. Je n’avais pas reçu de formation à ce métier. Qu’à cela ne tienne ! un stage de quinze jours chez Rolex pour apprendre à régler les montres, à remplacer les verres et à assurer leur étanchéité et la messe est dite ! Les révisions de toutes les montres que je vais vendre seront le plus souvent effectuées soit dans les ateliers des maisons-mères, soit chez des sous-traitants homologués, tel le merveilleux Monsieur Huguet, à Nantes, un sacré perfectionniste celui-la !, chez qui viennent en révision toutes les Rolex de l’ouest de la France. Dans les dernières années, l’essentiel des travaux est assuré par l’un de mes deux employés ; mais joaillier je suis, joaillier je resterai toute ma vie. Aujourd’hui encore, je suis expert en gemmologie auprès de tribunaux, à mon âge ! Mais ceci est une autre histoire. C’est cet attachement à ma formation et à mon métier qui me permettra au fil des ans de tenir la dragée haute aux manufactures horlogères : je n’ai pas besoin d’elles pour vivre, d’autant que je demeure également, pendant des années, pilote-instructeur dans l’Aéronavale. Restons cependant dans le domaine qui vous intéresse : les montres.

De par ma formation, j’ai toujours été porté vers le beau, le raffiné, le haut de gamme. Je respecte cette orientation dans le choix des marques que je vais représenter. Figurent sur ma carte Audemars Piguet, Vacheron & Constantin, Jaeger Le Coultre, Piaget, Breitling et Omega, quoique que pour cette dernière marque je choisisse de ne présenter que la gamme dite « de prestige », avec des boîtiers uniquement en or. De ma vie je n’ai vendu la moindre Speedmaster comme celle que vous portez ce soir ! Il m’est arrivé par contre de vendre des Patek Philippe car, bien que je ne sois pas distributeur officiel, il me suffisait d’un simple coup de téléphone pour être livré sans problème. Quelle époque !

Pour faire bonne mesure, je propose aussi Blancpain, Ebel et surtout Universal Genève, l’une des marques que j’affectionne particulièrement, avec IWC. IWC... Il faut dire que lorsque j’étais pilote dans la RAF, j’avais reçu en dotation une montre de cette manufacture. A la fin des hostilités, les britanniques m’ont laissé toute ma dotation vestimentaire, à l’exception de mon parachute et de cette montre. Quel dommage ! Bref, longue est la liste des marques que je représente, mais je suis le seul à faire mes choix quant à ces marques et quant aux modèles que j’achète. Il est hors de question de m’imposer un panel de montres tel qu’exigé par les marques. Je ne prends rien en dépôt. Je paie cash, donc je choisis. C’est ma règle et jamais je n’en dérogerai. Ainsi, par exemple, j’en viendrai à virer sans autre forme de procès Jaeger Le Coultre dont la politique commerciale me déplaît. D’autres suivront, à leur plus grand dépit.

Je me souviens qu’un jour, le représentant de Cartier, très sûr de lui, me pose la question :

« Quelle est chez vous la marque de bas de gamme ?
- Cartier. »


Tête du bonhomme …

Je n’ai pas omis d’inscrire à mon catalogue ma marque favorite : Zénith. J’étais et je demeure amoureux des Zénith. Ah ! j’ai aussi un faible pour les Panerai, pour un motif particulier. Je vais vous raconter l’anecdote : en 1945, au cours d’un stage en Écosse, je fais la connaissance d’un homme déjà célèbre : Lionel Crabb, le fameux homme-grenouille qui avait lutté, à Gibraltar contre les hommes de la « Decima MAS », les commandos de nageurs de combat italiens du Prince Borghese. Lorsque, après le retournement des alliances en 1943, ces combattants italiens rejoignent l’unité commandée par Crabb, celui-ci constate que leur matériel est bien supérieur à celui de la Navy et découvre, en particulier, les montres Panerai qu’ils utilisent. C’est lors de ma rencontre avec Crabb qu’il me fait découvrir cette montre. Il ne s’arrête pas là : il m’offre une combinaison de plongée italienne que j’ai utilisée pendant des années, avec d’autres, car j’ai pratiqué la plongée sous-marine jusqu’à beaucoup plus de 80 ans. Après quoi, j’ai offert tout mon mon matériel à la SNSM (Société Nationale de Sauvetage en Mer)

Bon, me voici encore reparti outre Manche ! Revenons en Bretagne et à nos montres. A mes montres : lorsque j’ai décidé de cesser mon activité commerciale, j’ai aussitôt vendu mes Rolex, mes Cartier et autres montres personnelles et je n’en conservé que quelques unes, essentiellement mes Zénith : trois ou quatre El Primero, que j’aime bien ; et une Vacheron Constantin, aussi ; une Blancpain, que j’ai donné à mon fils, qui ne la porte jamais…

Certes, j’aurais pu garder mes Rolex, en souvenir de l’accueil chaleureux que j’ai toujours connu lors de mes visites en Suisse, mais je détestais la spéculation sévissant déjà autour de cette marque. Je vous en donne un exemple :

Un jour je reçois deux Daytona, chacune des deux couleurs de cadran disponibles à l’époque. Peu après, un appel téléphonique me parvient de Milan, ce qui n’est pas la porte à côté !

« J’ai appris que vous aviez deux Daytona ?
-Oui. Comment diable savez-vous cela ?
-Par la maison, que j’ai contactée. Accepteriez-vous de m’en vendre une ?
-Bien entendu.
-Si je prends l’avion demain, vous me la gardez ?
-Évidemment. »

Surprise, dès le lendemain, mon Italien débarque ; Milan-Paris, Paris-Quimper, l’homme n’a pas perdu de temps ! Je lui remets sa montre.

« Me vendriez-vous la seconde ?
-Pourquoi pas ?
-Alors, je la prends également. »


Comme je refuse d’être payé avec une carte de crédit, l’homme fonce à une banque, revient un peu plus tard avec l’argent liquide, ce qui laisse à imaginer quelle pouvait être sa surface financière, me paie, attrape son colis et déclare, avant de franchir la porte :

« C’est un beau cadeau que vous m’avez fait. Je vais revendre immédiatement la seconde. Elle me paiera le prix des deux. »

écœurant ...mais parlons d'autre chose. Le café de votre épouse est délicieux. J'en veux bien un second. Où en étions-nous, déjà? Ah, oui! Rolex...

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Je tiens beaucoup à ma montre, c'est mon Grand Père qui me l'a vendue sur son lit de mort (W. Allen)


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