Jaeger, Le Coultre et l'automobile (Général)

posté par Marv , 21/06/22, 02:24
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Même si ce n'est qu'un détail des multiples liens qui relient Jaeger, LeCoultre et l'automobile, j'aime beaucoup l'histoire de la création de la Jaeger Watch Co Inc, fondée à New York en 1926, et dont l'origine est rapportée dans des documents d'époque retranscrits dans l'ouvrage passionnant "De la Forge à la Manufacture" écrit par François Jequier.

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Pour comprendre la naissance de la société Jaeger Watch Co Inc., il faut remonter aux anciennes relations d'Edmond Audemars avec Albert Champion, à l'époque où tous deux pratiquaient le sport cycliste à Berlin, au début des années 1900s.

Albert Champion émigra ensuite aux États-Unis où il créa une importante industrie de bougies d’allumage pour moteur d'automobile.

En 1925, alors qu'il était de passage à Paris à l’occasion du Salon de l’automobile, Albert Champion reprit contact avec Edmond Audemars devenu directeur commercial de la société Jaeger, et qui s’occupait également de la diffusion des produits fabriqués par l’usine Le Coultre du Sentier, appareils destinés à l’équipement des planches de bord des voitures automobiles : indicateurs de vitesse, montres et compte-tours.

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Edmond Audemars fit part à Albert Champion du souhait de ses deux sociétés de prospecter le marché américain.

Par un heureux hasard se trouvait justement à Paris un ami de Champion, M. Edgar L. Vail qui représentait la fabrique de montres Zenith du Locle, mais avec laquelle il avait de graves difficultés techniques et commerciales qui le conduisaient à entamer un procès. Champion, saisissant cette opportunité, mit en contact Vail avec Audemars, qui commencèrent immédiatement l’étude de ce qu’ils pourraient créer ensemble en Amérique.

Et c'est ainsi qu'en février 1926, les administrateurs de Le Coultre & Cie décidèrent que : « … Pour faire suite aux diverses études en cours depuis bientôt deux ans du marché américain et ensuite des correspondances échangés avec Albert Champion à Flint, Edgar L. Vail et la maison Cartier à New York, MM. LeCoultre et Audemars se rendront en Amérique pour constituer sous certaines conditions une société américaine ayant pour but l’importation de produits manufacturés d’horlogerie... »

Jacques David Lecoutre et Edmond Audemars embarquèrent donc pour New York sur le paquebot France à la fin du mois de février 1926.

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Et c'est lors de ce séjour de 3 semaines à New York qu'il fut décidé d'y fonder la société Jaeger Watch Co Inc.

« D’après les lois de ce pays, la majorité des participants devait être de nationalité américaine ou résider dans le pays. Mais ni Le Coultre & Cie. Ni Jaeger Paris n’avaient les capitaux disponibles pour les investir à l’étranger, attendu les grands besoins d’argent dont ces sociétés devaient disposer pour faire face à leurs vertigineux développements en France, en Suisse et en Angleterre.

Prévoyant ce cas, M. Delage s’était adressé à M. Pierre Cartier, puissante affaire de bijouterie et horlogerie de la 5ème avenue à New York, pour lui suggérer de s’intéresser à nos projets de création d’une société américaine. Sa réponse ne fut pas d’emblée positive, mais pas non plus négative. À notre arrivée à New York, M. Cartier était en séjour à Miami et nous n'eûmes pas le plaisir de le voir. Nous eûmes alors à faire à son second, M. Hartnet qui était président de la Cartier Inc. Son action à notre égard fut sympathique et par l’énorme standing de cette maison, notre tâche fut un peu allégée.
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La boutique Cartier à New York dans les années 1920s


Assurés alors de l’apport d’une partie des capitaux par M. Pierre Cartier, la constitution de la Jaeger Watch fut décidée avec un capital initial de 2400 actions de $100, soit $ 240 000, réparti comme suit :
- Albert Champion : 600 actions - $60 000
- Edgar L. Vail : 600 actions - $60 000
- Pierre Cartier : 600 actions - $60 000
- Le Coultre & Cie. : 600 actions - $60 000


« Dès le début des pourparlers, Audemars avait fait comprendre discrètement à nos partenaires que nous n’aurions pas les fonds pour couvrir notre souscription pour les raisons indiquées plus haut.

Ayant, avec Vail, élaboré le programme technique et fixé les types de montres qui seraient à fournir, M. Lecoultre fit valoir les immobilisations qu’il aurait à supporter pour créer les outillages, approvisionner les matières premières, payer des mois de main-d’œuvre, etc. avant de pouvoir faire et encaisser des factures. Il faut dire que les montres choisies étaient d'un modèle nouveau jamais fabriqué au Sentier. Mais ces arguments, bien que réels, ne furent pas acceptés et ce fut le moment le plus critique de nos tractations. Vail était le plus coriace dans son opposition, voulant que, d’une façon ou d’une autre, Le Coultre & Cie. versât son apport en numéraire.

En désespoir de cause, Audemars s'arrangea de rencontrer Champion seul, en tête à tête, espérant qu'en le prenant par les sentiments, vu l'analogie de leurs carrières, leurs souvenirs d'une jeunesse si bien récompensée par leur travail et leur réussite, il pourrait le convaincre de l'appuyer dans la proposition qu'il allait faire.

Champion était riche à millions de dollars et sa participation de 60 000 dollars dans cette nouvelle entreprise était pour lui une goutte d'eau. Il était un homme un peu rustre, mais avec un grand cœur, aussi la démarche fut un succès.

Entre Vail et Lecoultre, les prix des différents modèles de montres n'étaient qu'ébauchés, alors qu'entre Lecoultre et Audemars les prix auxquels devaient se traiter des commandes éventuelles étaient bien définis. Lecoultre avait une notion très précise de ses prix de revient que nous majorions d'un bénéfice de 20%, car il fallait récupérer les frais d'outillage et de mise en route de la fabrication, ce qui coûte toujours cher, et qui restaient à notre charge. Audemars eut l'idée qu'en majorant notre prix de vente de 50 centimes suisses, nous aurions la possibilité de proposer que notre apport soit couvert par une retenue de 50 centimes par montre facturée, jusqu'à extinction des 300 000 francs suisses que représentait notre souscription au capital de la Société. Avec lenteur, notre proposition fut acceptée grâce à l'appui de Champion et, pour finir, de M. Hartnet. Dans les années qui s'écoulèrent par la suite et à chaque rencontre, Vail n'a jamais manqué - non de lui reprocher vu que leurs rapports étaient devenus très amicaux - de faire ironiquement état envers Audemars de l'avantage qu'il avait si bien réalisé.

Malgré notre optimisme sur les perspectives de ventes aux Etats-Unis, nous ne pensions tout de même pas que notre dette serait si rapidement amortie ! Ce fut des centaines de milliers de montres que Le Coultre & Cie expédia du Sentier à New York.

En conclusion, la société Le Coultre & Cie s'est trouvée intéressée pour un quart du capital de la Jaeger Watch Co, sans avoir sorti un franc de ses caisses, puisque les 50 centimes retenus sur factures étaient un super-bénéfice sur le prix de vente normal qui aurait été appliqué dans le cas où nous aurions pu, comme les autres actionnaires, verser en espèces notre souscription de 60 000 dollars, soit 300 000 francs suisses.

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(en bas à droite, illustration de 1932 représentant la Jaeger Watch Co Inc à New York)


Après ce sommaire exposé des débuts de nos affaires américaines, voici succinctement le développement que prit la Jaeger Watch Co :

Pendant des années, Le Coultre & Cie approvisionna New York avec des montres complètes emboîtées. L'extension de la production automobile en USA fit naître une concurrence acharnée, d'où lutte des prix de revient pour vendre les voitures aux plus bas prix par chaque constructeur. Les fournisseurs de pièces détachées - les montres, par exemple - furent contraints de baisser leurs prix dans de fortes proportions. La Jaeger Watch avait des concurrents et la lutte se faisait avec un couteau entre les dents. Vail commença alors à n'importer que des mouvements nus, l'emboîtage se faisant dans des boîtiers fabriqués par lui. Ensuite, il fabriqua les platines et les engrenages pour ne recevoir du Sentier que quelques fournitures délicates comme la roue d'échappement, les spiraux, etc. De ce fait, il évitait les droits de douane, les tarifs douaniers sur les fournitures n'étant pas les mêmes que sur la montre complète. Il économisait les frais d'emballage et de fret.

Pour finir, la montre complète fut fabriquée à New York et Le Coultre & Cie ne devint qu'un dépanneur lorsqu'une pièce quelconque faisait défaut au rythme accéléré des fabrications de la Jaeger Watch
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