Une nouvelle folie ! (Revues & Essais)

posté par capitaine56 , Toujours près de la mer, 29/12/21, 16:20

Ça c’est bien vrai ; vue de ce côté, il n’y a pas de quoi ameuter les foules. On se demande ce qui m’a pris d’acheter ce truc :

[image]


C’est gris, banal, sans aucun attrait. Avec un peu d’imagination, on parvient à se persuader que ce métal, c’est peut-être de l’argent, point. De là à y consacrer son argent, euh…
Mais il ne faut jamais rester sur une mauvaise impression. Faisons donc le tour de cette rondeur.

[image]



Paf ! Là, c’est bien beau. C’est bien vrai, ça ! Très beau. Très, très beau ; enfin, à mon avis, hein ? Et personne n’est tenu d’être de mon avis. Mais quand même : aiguilles Louis XV en or, cadran en émail immaculé, chiffres romains pour les heures, arabes pour les secondes, sous-compteurs joliment nichés dans le fond de deux cuvettes… Deux sous compteurs ? Tiens, pourquoi deux sous-compteurs ? Pourquoi cette grande trotteuse centrale ? Mais mais mais mais mais..., ce cadran, là, c’est exactement le même que celui-ci :

[image]


Y a que la boîte qui change ! Mais grâce à cette belle boîte, la montre en or, là, s’est vendue, il y a une grosse poignée d’années, très exactement au joli mois de juin 2007, à coups de gros tas de dollars, lors d’une vacation à l’Hôtel Ritz Carlton à Hong Kong. De dollars de Hong Kong, d’accord, mais quatre cent mille dollars et quelques, quand même. Plus les frais. Ce qui fait, voyons voir… beaucoup pour une montre de poche ( ne cherchez pas : 45614, 82 € . En 2007!).
Serait-ce à cause du mouvement ? Serait-ce le même ? Voyons ma montre à moi :

[image]


Gagné ! C’est le même.
Donc, la « en or », elle frime, tout ce qui plaît à un Chinois bien friqué. La « en argent », elle rend service, tout ce qu’il faut à un véritable amateur de chronographe.
Ah oui ! J’avais oublié de vous dire : la montre, là, en argent gris moche : c’est un chronographe. Un vrai. Et qui marche ! La preuve :

[image]


Là il est midi moins vingt, OK, mais on peut lire également que j’ai déclenché le chronométrage de la livraison de l’apéro depuis deux minutes, quatorze secondes et deux cinquièmes.
Bon, j’admets, vous le saviez déjà. Bon, ok, ok, ce n’est qu’au cinquième de seconde, mais je ne suis pas exigeant au centième de poil, du moment que la température du ouiski est acceptable (pas de glaçon, merci!).
Bon, on va tenter de faire mieux, en attendant que le divin breuvage arrive, voyons voir qui c’est-y qu’a fabriqué ce chronographe :

Chaudé. Chaudé ? Ça vous dit quelque chose Chaudé ? Moi non. Quoique du côté de Monsieur M8, il me semble me souvenir que, sur un forum suisse, j’ai vu un truc…
Monsieur M8 (Mad Man Mécanicien Motos Manufacturier en Maquettes Magicien des Montres)

[image]


Gagné ! Une Chaudé itou. Pas la même, mais c’en est une.

Il n’en fallait pas plus pour que ma curiosité maladive de vieillard maladif se réveille et qu’oubliant mes maux, je me lance à la chasse au Chaudé.

Yaka et Ifokon

Et bien, j’ai pris une claque. Je n’irais pas jusqu’à dire que j’ai été éChaudé, ce genre d’humour facile est indigne de paraître sur notre cher forum. Mais quand même ! Pour dénicher Chaudé, il faut VRAIMENT, fouiller jusqu’au fin fond des derniers coins d’Internet.

D’accord, il y a la montre du Ritz Carlton à Hong Kong, mais à part ça ? Et puis QUEL Chaudé ?
Parce que là, c’est chaud ! Des Chaudé, il y en a des tas.
Ceux qui sont nés à Paris entre 1786 et 1859, dates vraisemblables pour que ces braves gens aient pu exercer leur activité au cours du XIXème siècle. 31. Trente et un Chaudé !
Ceux qui se sont mariés entre ces deux dates : 21. Vingt et un Chaudé mariés, hommes et femmes !
Ceux qui sont morts à Paris au cours de ce siècle : 23. Vingt trois Chaudé, mâles et femelles, qui ont passé l’arme à gauche.

Et les Chaudé horlogers ont trouvé malin de ne pas écrire leurs prénoms, voire même seulement leurs initiales sur leurs montres.
C’est ballot …

Il ne me reste qu’à procéder par élimination et éliminer des morts, ce n’est pas du gâteau.

Étant donné que je suis d’une autre époque, je n’hésite pas un instant : exit les Chaudé femelles.Vous imaginez UNE Chaudé chef d’entreprise ? Au XIXème siècle ? En France ?

Il n’empêche qu’il me reste une flopée de bonshommes : Louis Abraham, Jacques, Pierre Auguste, Joseph, Jacques, Prudent, Alexandre, Adrien, Jean, Édouard, Bernard, Pierre, François, Jérôme, Louis Adrien...

Et bien, j’ai eu tort. J’ai failli louper UNE Chaudé qui méritait que je me penche sur son cas :
LOUISE PAULINE. Madame Louise Pauline épouse Chaudé, pour être plus clair. Enfin, clair, c’est une façon de parler, hein ? Parce que Louise Pauline, elle s’appelle FAIVRE. De son nom de naissance. CHAUDE de son nom d’épouse. Mais à son décès, en décembre 1844 un notaire est venu et a procédé à l’inventaire de ses biens; les biens de Louis Pauline FAIVRE, épouse Chaudé; et que découvre-je dans cet inventaire : Jules. JULES Chaudé. Horloger. Jules Chaudé, horloger au numéro 36 de la Galerie Montpensier du Palais Royal. De la galerie Montpensier du Palais Royal où en 1840 un certain nombre d’horlogers tenait boutique; et quand je dis un certain nombre : SOIXANTE DEUX. Mais un seul Chaudé. Je le tiens, je ne le lâche plus.

« Qui est-tu JULES ? D’où viens-tu ?
- Je suis Jules Chaudé, successeur de Nicolas Rieussec, pour vous servir
- Le Rieussec du chronographe ?
- Rieussec, inventeur du chronographe lui-même et en personne.

Nicolas Rieussec
[image]


Le chronographe encreur de Nicolas Rieussec

[image][image]

- Travaillâtes-vous avec ce bon Nicolas ?
- Si fait
- Prîtes-vous sa succession ?
- Oui-da
- Vous pouvez le prouver ?
- Certes : voici pour preuves l’un de mes cadrans :
[image]


l’une de mes factures :
[image]


- Je lis sur cette facture que vous œuvriez au numéro 35 de la galerie ?
- Tout à fait. Mais nous nous agrandîmes et primes possession du 36, juste à côté.

[image]

L’entrée du numéro 35, côté rue


- Et la rue Neuve des Petits Champs, dont je lis le nom sur ce précieux document ?
- C’est du passé, cher Monsieur, du passé simple. Nous dûmes dans le passé composer avec des lieux imparfaits ; du même coup, nous nous rapprochâmes du canon.
- Du canon ?
- Le canon de Rousseau.
- Rousseau ? Jean-Jacques ?
- Que non point, sot que vous êtes ! Pas le philosophe, l’horloger.
- Il y a un Rousseau horloger ?
- Que oui. Dans la galerie du Beaujolais. C’est lui qui conçut le petit canon du jardin du Palais Royal. Celui qui donne l’heure.
- L’heure ? Un canon de Beaujolais qui donne l’heure ?
- Vous le faites exprès ? Le canon est installé sur la ligne méridienne de Paris. Chaque jour, à midi pétante, les rayons du soleil traversent la loupe, mettant ainsi le feu aux poudres et le canon tonne. Boum ! Nous pouvons alors régler nos montres.

[image]

Le canon du Palais Royal


[image]

Parisiens réglant leurs montres au coup de midi


- C’est pour cela qu’il y a tant d’horlogers en ce lieu ?
[image]


- C’est pour cela, en effet ; et aussi parce que depuis que les dames de petite vertu et les castors furent poussés hors des galeries du Palais, il devint fort aisé de se regrouper dans ce lieu de commerce et de belle fréquentation. Il y eut ici Thomas, Lépine, Oudin, Lepaute, Leroy, Robert, Blanc, Gentilhomme, Kinable, Chopin-Ponce, Comminges, Blanc et tant d’autres !

[image]


- Donc vous transportâtes vos pénates des vieux locaux de la rue Neuve en ce lieu nouveau?
- C’est cela. Et nous devînmes horloger du Roi.
- Lequel ?
- Mais de ce bon Roi des Français, Louis Philippe, bien sûr !
- Et ensuite ?
- Ah, ça! Ensuite fut une autre histoire. Je défunctai. A la fin du mois de mai 1854. Mon épouse m’avait de longtemps précédé, mais Jules prit ma succession.
- Jules ?
- Alfred
- Alfred ?
- Jules Alfred. Mon fils à moi. Celui qui fut horloger de l’Empereur.
- Napoléon III ?
- De quel autre Empereur voulez-vous que je parle ?
- Voui voui voui… et l’horloger de la Marine de l’État ?
- Ce fut moi. Puis lui. Puis la Maison Chaudé.
- D’accord ! C’est un peu le bazar, chez les Chaudé, dites-moi ?
- Permettez, Monsieur ! Point de bazar, chez nous. La Maison Chaudé était bien en ordre mon parent, le libraire, celui qui a décroché la Légion d’Honneur, tenait ses livres à jour, mais finalement, notre horlogerie disparut au vent de l’histoire. Triste fin, n’est-ce pas, mais fort heureusement, quelques belles pièces, sorties de nos ateliers font encore les beaux jours des salles de ventes, des sites de ce que vous appelez, je crois, à votre étrange époque, Internet et même du Mobilier National. Sans parler de quelques collectionneurs farfelus qui se plaisent à accumuler les montres. Dont vous êtes, m’a-t-on dit ?
- Dont je suis, mon cher Chaudé, dont je suis…
- Étrange passe-temps. Enfin, chacun peut perdre son temps avec des gardes-temps. Admirez. »

Et je vis :

Sur eBay
[image][image]


[image]

[image]

[image]


Mobilier National
[image]

Pendule portique
[image]

[image]


Pendule borne
[image]

[image]



Vente Mercier avril 2016
[image]
Vente à Drouot
[image]


rien que ça…
[image]


Et enfin :

Création Henri Gabriel, maison Chaudé
[image]

Kenavo !

---
Je tiens beaucoup à ma montre, c'est mon Grand Père qui me l'a vendue sur son lit de mort (W. Allen)


Discussion complète:

290389 messages dans 23850 discussions, 42549 usagers enregistrés, 1111 usagers en ligne (0 enregistrés, 1111 invités) :
RSS Feed
powered by my little forum