Une Le Coultre un peu particulière (Articles)

posté par capitaine56 , Toujours près de la mer, 22/01/21, 12:11

Chronographe Le Coultre

1941.


Le 11 décembre, quelques jours après l’attaque japonaise sur Pearl Harbour, l’Allemagne nazie et l’Italie mussolinienne déclarent la guerre aux États Unis. En juin, Hitler avait lancé l’invasion de l’URSS (opération Barbarossa). Dorénavant, le conflit est mondial.

Les U-boots allemands, les « loups gris », de l’Amiral Karl Dönitz n’ont pas attendu le début des hostilités pour venir rôder le long de la côte est américaine et les premières attaques sont menées avec succès avant la fin du mois.


Au début de 1942, dans le cadre de l’opération « Paukenschlag » (coup de timbale) les sous-marins océaniques, de type IX et dérivés (de IX B à IX D) basés sur les côtes françaises à Brest, Lorient, Saint-Nazaire, la Rochelle et Bordeaux, disposant d’un important rayon d’action, opèrent quasiment impunément des Antilles jusqu’au Groenland. Ils sont rejoints, au printemps, par d’autres sous-marins de moindre dimension et de plus faible tonnage de type VII, ravitaillés par les « milchkuh » ( vaches à lait ), sous-marins de soutien logistique de la Kriegsmarine.

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U-boot type IX C à la base de Keroman à Lorient


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U-boot type XIV « vache à lait » s’apprêtant à ravitailler un U-IX


Cette période est baptisée « période dorée » par les sous-mariniers allemands. En effet, contrairement aux navires anglais et canadiens qui, assez rapidement, ont été organisés en convois protégés, et malgré les conseils prodigués par l’Amirauté britannique, les bateaux américains naviguent isolément, sans aucun plan coordonné, de jour comme de nuit, offrant ainsi des cibles de choix à l’ennemi qui n’en fait qu’une bouchée. Environ deux millions de tonnes et près de cinq mille hommes sont sacrifiées avant que la marine US prennent des mesures adaptées au problème.

C’est au milieu de l’été 1942, huit mois après le début des hostilités, que vont enfin être constitués des convois protégés et que va être mise en place une surveillance aérienne de bonne qualité. Il était plus que temps, les Allemands ayant envoyé par le fond plus de 800 000 tonnes au cours du seul mois de mars !

Cette mission de surveillance aérienne fut confiée essentiellement, au sein de l’US Army Air Force, à des avions bombardiers transformés en appareils d’observation, sur la base du Consolidated B24 « Liberator », rebaptisé PB4Y « Privateer ». Le B24 se révèle un piètre bombardier, particulièrement vulnérable, mais il est capable de voler à une altitude de 10 000 mètres, ce qui en fait un bon appareil d’observation.

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PB4Y « Privateer »


C’est lors du déploiement de ces appareils au très long rayon d’action, lors de cet épisode de la « Grande Histoire » que débute la petite histoire d’une modeste montre : un chronographe Le Coultre que je porte au poignet tandis que j’écris ces lignes. Cette montre a vécu la guerre et a fait un long voyage pour parvenir jusqu’à moi.

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Au départ, était un certain Rodney Gordon Galbraith, photographe amateur. La guerre survenant, notre homme est enrôlé dans l’ US Army Air Force et se voit bombardé, si j’ose dire, photographe militaire après quelques séances de formation. Il est embarqué sur l’un de ces « Privateer » de surveillance. Son rôle ? Localiser et photographier les bâtiments ennemis s’approchant des côtes et ce sur un parcours allant de la Floride jusqu’au Groenland. Voici ce qu’écrit son fils, Duncan de son prénom, à ce propos :

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Vient la fin des hostilités. Notre Rodney retourne dans ses foyers et conserve la montre fournie par l’USAAF. Plus tard, cette montre revient à Duncan qui la conserve pieusement dans un quelconque tiroir.

Apparaît alors dans notre histoire un petit Français du nom de Baptiste Lefrançois.
Baptiste Lefrançois est paysagiste. Aux alentours de l’an 2000, il s’installe à Montpelier…


Que ceux qui ont dit :
« Tiens, pépère a fait une grosse faute d’orthographe »
Lèvent la main.
Ceux qui ont levé la main sont bons pour deux heures de colle, avec étude de la géographie des USA.


Montpelier, avec un seul L, c’est la capitale administrative du Vermont (autrefois le Vert Mont, en français), l’un des premiers états historiques des États-Unis. C’est aussi une toute petite ville de moins de huit mille habitants.

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Tombé amoureux d’une charmante Américaine séjournant en France, Baptiste l’a suivie, pour le meilleur et pour le pire, dans son pays.

C’est dans cette charmante petite ville que la chance veut qu’il ait pour voisin Duncan Galbraith, le fiston de Rodney, avec lequel il sympathise. Il confie à ce dernier des petits boulots et leur amitié va grandissant. Mais Duncan a quelques menus soucis d’argent et un jour il propose à Baptiste de lui vendre la fameuse montre de feu son Papa. Baptiste lui répond « why not ? » car il a un frère, demeuré en France, dont la chance fait, une nouvelle fois, qu’il soit horloger de profession. Voilà qui tombe bien ! Peu après, la montre prend à nouveau l’avion, au poignet de Baptiste, destination la France et très précisément le village de Férel, dans le Morbihan, où le frère horloger a élu domicile et où il œuvre sur les montres anciennes qui lui sont confiées.


J’ai eu par ailleurs le plaisir de vous parler naguère de cet horloger, Simon Lefrançois, un ancien de quelques grandes manufactures suisses. Lors d’une de mes nombreuses visites, la conversation vient tout naturellement sur le sujet des montres anciennes proposées sur le marché local. Mon Simon est un excellent réparateur, mais un piètre marchand. Déjà bien incapable de se vendre lui-même, il n’est nullement motivé par l’idée de faire commerce de montres, d’horloges, de pendules et autres automates qu’il répare ou entretient. Tout à coup, une idée lui vient. Il ouvre un tiroir et me présente la Le Coultre amenée par son aîné.

« Mon frère m’a confié cette montre pour que je la vende, mais je ne sais trop comment faire. L’achèteriez-vous ? Me dit-il.
- Ma foi oui !
-Bon. Si vous êtes preneur, j’effectue la révision, car la montre n’a pas été portée depuis des lustres, et elle est à vous. 
-Marché conclus. »


Deux mois plus tard, tout guilleret, je prends livraison de l’objet qui brille comme un sou neuf.

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Et c’est ainsi qu’une montre fabriquée en Suisse, livrée à l’USAAF, passée par Montpelier (un seul L) au Vermont devint Bretonne.

C.Q.F.D.

Kenavo

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Je tiens beaucoup à ma montre, c'est mon Grand Père qui me l'a vendue sur son lit de mort (W. Allen)


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