Impressions dilettantes (Revues & Essais)

posté par J++ , 26/04/20, 18:00
(Modifié par J++ le 26/04/20, 18:22)
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Bon, j'avais promis d'en parler alors je vais en parler. Et puis, c'est pratiquement la seule actuellement qui me pousse à quelques infidélités vis-à vis de mon Ocean 39. Infidélité, tiens tiens... Il y a des jours où je me dis que nous avons vraiment une mentalité de Don Juan, avec nos si nombreuses maîtresses horlogères qui nous captivent... quelques temps et auxquelles nous sommes fidèles... quelques temps. Combien en avons-nous conquises (ou peut-être l'inverse), combien en avons-nous gardées ? Bon, je n'en suis pas (encore) aux scores de l'original (Don Juan), sans même parler de sa performance historique en Espagne. Mille trois, faut quand même y aller. Même si ce chiffre, provenant de la publication bien connue du professeur Leporello, a été parfois remis en cause, notamment par le récent rapport du HCTCF (1), lequel estime que la réalité ne dépasse probablement pas les 900. Quand même !

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Ah, Mozart ! Ah, Don Juan ! Combien de fois j'ais-je vu représenté ! Mais rien qui approche, de près ou de loin, la prestation exceptionnelle de Ruggero Raimondi, ce soir-là. Purée ! Ce n'est pas que les autres n'étaient pas bons, loin de là. Mais à côté, ils n'existaient tout simplement pas. Du brutal, c'est rien de le dire. Un peu comme Jon Spencer dans un genre évidemment différent, pour ceux qui ont eu la chance d'assister à une performance de ce rocker quand même sérieusement barré.

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Rien à voir, donc, avec sa prestation dans le film quand même un peu fadouille de Losey. A propos du concert en question (le Don Juan), ça me rappelle une anecdote. J'avais à l'époque une collaboratrice en plein trip de The Cure, autant dire que Bel Canto lui passait largement au-dessus de la tête. Elle m'avait raconté un matin que, rentrant tard le soir à pied avec une copine et passant sur la place déserte devant l'opéra en question, elles étaient tombées sur un type avec un costume bizarre, très agité et chantant à tue-tête. Apercevant les deux donzelles, il se précipita sur elles et voulut les entraîner dans une valse frénétique. Lesquelles donzelles s'étaient rapidement dégagées et enfuies à toutes jambes. Je demandais quelques éléments de description à propos du quidam, et il apparut qu'il s'agissait d'évidence de l'ami Ruggero, vous l'avez deviné. Sortant manifestement de répétition, et peut-être bien d'un after, très en forme en tout cas. Et lorsque je m'exclamai : "Mais, enfin, c'était Ruggero Raimondi, vous vous rendez compte !", l'intéressée, beaucoup plus branchée psychopathologie qu'actualités municipales, me lança d'un oeil glacial : "Ah ouais ! C'est un pote à vous ? Faudrait le soigner !". Comme quoi, on peut avoir un raisonnement parfaitement logique dont le résultat tout aussi logique est de passer complètement à côté de la plaque.

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Mais je m'égare, revenons donc à Don Juan, je veux dire à ma dernière conquête. Enfin, quand je dis dernière, vous me comprenez. Bon, je dois avouer que, jusqu'à une période assez récente, je ne m'étais jamais intéressé à cette marque. Pas dans mes radars, et une production quand même un peu rustique. Et puis j'ai commencé à voir apparaître des modèles plutôt sympa sur le CDA. Ce CDA est décidément une institution des plus dangereuses... Enfin bref, du coup je suis allé sur le site de la marque et, comme dit le poète, la suite appartient à l'Histoire... Et donc... Ah tiens, je ne vous ai toujours pas dit de quelle marque il s'agissait ! Suis-je distrait, toutes mes excuses. C'est donc... c'est donc... (roulement de tambour)... Yema !

En fait, l'historique de cette marque est intéressant, avec une certaine légitimité, dans le domaine de la plongée et de diverses activités y compris militaires semble-t-il. Elle est même allée dans l'espace, moins loin qu'Oméga, mais plus que Breitling.

Le site actuel de la marque est plutôt pas mal fait, et propose une gamme sympa à des prix corrects, que demande le peuple... A noter que cette gamme évolue à un rythme assez rapide. Il y a même une pré-réservation en cours pour une version "militaire" de la Superman Héritage, pour les amateurs de cocardes. Bref, j'ai donc commencé à tester avec quelques productions de base, dont il faudra que je vous touche un mot un de ces jours. Et puis elle est apparue en pré-commande. Qui, elle ? Ben, elle, quoi ! La Speed ! Enfin, l'autre Speed, la Speedgraf. Pour faire court, j'ai flashé comme un débutant, et passé commande illico. Je passe sur la période d'attente (trois mois tout de même), et de ses différents symptômes que vous connaissez par cœur.

Pour patienter, je me suis un peu renseigné sur l'historique du modèle. Lequel a réelle existé sous la dénomination de "Daytona". Le site Yema Vintage précise que ce modèle est apparu en 1965, et a connu plusieurs déclinaisons utilisant des Valjoux 92, puis 7730, 7733 et 7734. Du sérieux, quoi. Il aurait même, selon certaines rumeurs, inspiré un modèle du même nom, de cette marque dont je n'arrive jamais à retenir le nom, Solex ou un truc du genre.

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Bon, pour revenir à nos moutons, trois mois jour pour jour... et puis, elle est là !

Nous avons tous connu ce moment particulier, celui où l'on déguste d'abord avec les yeux, puis où l'on déballe l'objet lentement, en savourant chaque étape, comme si c'était la première fois (pour la montre, c'est sûr que c'est la première fois. Je n'ai pas employé le terme de "pucelle", mais je l'ai pensé quand même un peu. Pas vous ? Sans blague !). C'est tout juste si on n'entend pas Juliette Gréco nous susurrer "Déshabillez-moi !". Et comment qualifier cette ultime étape où l'on retire délicatement les stickers, ce moment où l'on possédera enfin pleinement l'objet tant désiré ? On déshabille ? On déflore ? Décidément, papa Freud ne nous lâche pas aujourd'hui.

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La boîte, tout d'abord. De dimensions contenues, je ne m'en plains pas. Ni luxueuse ni cheap, elle est dans l'esprit de la montre, en reprenant certains codes du sport automobile de l'époque.

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Puis on ouvre la boîte, et immédiatement après on découvre (enfin !) l'objet et il y a les premières impressions. C'est important, ça, les premières impressions. Je veux dire, pour les montres aussi. Pour la Speedgraf, j'en garde le souvenir précis, il y e eut trois. Le premier, et une surprise malgré tout, c'est la dimension particulièrement contenue du cadran. Certes, le boîtier est un 39mm, ce qui de nos jours suffirait à le classer dans la catégorie "gringalets", mais cela tient aussi, et peut-être surtout, à la taille"utile" du cadran. Car, dès lors que l'on retire la lunette, le saphir, la zone tachymétrique, le chemin de fer et que l'on arrive (ouf !) aux index, il ne reste plus que 24mm. Et l'épaisseur importante de l'objet (15,5mm), qui constitue d'ailleurs la seconde impression, contribue à ce visuel un peu décalé. En cela, elle me rappelle ma défunte MM300 : gros boîtier, petit cadran, avec pour résultat ce visuel rétro plein de charme. Et la troisième impression est celle de la qualité perçue. L'objet est légèrement lourd, un peu massif même, et parfaitement bien fini. Du sérieux, manifestement.

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A côté d'une autre néo-vintage.

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A côté d'un autre chrono qui répondrait aussi à la dénomination de Speed. Si quelqu'un a des infos...

Bon, après les constatations initiales, passons au rapport d'autopsie. Je veux dire, à la revue de détail. Le cadran, tout d'abord. Le visuel est donc contenu, comme nous l'avons dit, ce qui contribue largement au caractère "rétro" de l'ensemble. Bien vu ! On observe également : le fond mat anthracite, une littérature sobre et équilibrée, les index carrés rapportés typiques de la marque avec aiguilles assorties, l'extrémité rouge de l'aiguilles des secondes du chrono, pour apporter une petite touche de vivacité, les trois échelles concentriques (tachymétrique, chemin de fer, télémétrique). Signalons au passage que l'échelle tachymétrique est trop petite, pratiquement illisible. Bon, on ne s'en sert pas tous les jours, mais tout de même. Les deux compteurs blancs se détachent très nettement, de même que leurs aiguilles et index noirs. A noter la forme particulière de l'aiguille du compteur des minutes, qui participe au caractère intuitif de la lecture. En fait, le seul truc qui me chiffonne est l'absence de date, alors que le mouvement en dispose. C'est quoi cette mode castratrice ? J'en ai plusieurs comme ça dans ma collection, c'est vraiment agaçant. C'est comme les réservoirs de moto, de plus en plus petits, c'est ça le progrès ? Alors que, placée à 6 heures, cette date aurait parfaitement contribué à l'équilibre de l'ensemble. D'ailleurs, ça existait dans les versions originales. Pas bien, ça, M. Yema.

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La lunette, qui encadre l'ensemble, est sobre et fonctionnelle. Le choix de l'alu participe au côté rétro, mais on aurait pu discuter le choix du saphir qui aurait contribué à la qualité perçue (et à la qualité tout court). Cette lunette est bidirectionnelle, et à friction (non crantée). Mais son caractère le plus remarquable est son échelle anti-horaire, ou au temps restant si vous préférez, genre "compte à rebours". Le moins que l'on puisse dire est que c'est très peu courant aujourd'hui (un autre exemple ?), mais pas farfelu du tout. En fait, ma première plongeuse avait une lunette comme ça, et ça me paraissait naturel. A la réflexion, je préfère ce type d'affichage, qu'il s'agisse de mesurer le temps restant pour attraper un train ou un avion, ou celui du temps de cuisson de mes plats préférés. Et puis, si on a envie du temps passé, ben il y a le chrono. Bien vu, donc ! Complétons par le verre, un très beau saphir en relief reprenant les codes d'un plexi, sans les inconvénients (le plastoc, pas mon truc).

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Puisqu'on parle des fonctionnalités, la montre n'a ni poussoirs vissés (merci), ni couronne vissée (inutile sur ce type de montre). Il y a un stop-seconde, ce qui n'est pas le cas de toutes les Speed (suivez mon regard). Le déclenchement du chrono est légèrement dur mais bien net, le retour à zéro ne l'est pas (dur). A noter que le compteur des minutes est de type "rampant", ce qui est aussi bien finalement. Le mouvement est un japonais, le Seiko NE86. Automatique, on aurait pu imaginer un remontage manuel pour un ensemble moins épais. Pour le reste, il semble s'agir d'un moyen de gamme honorable, avec plein de rubis partout, une roue à colonnes, et pas de prise de tête concernant la précision ou la fiabilité.

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Venons-en au boîtier. Celui-ci est plutôt massif en dépit de ses dimensions contenues, et contraste un peu avec les dimensions du cadran. La largeur des cornes participe à cette impression, c'est vraiment un parti-pris. Pourtant, l'ensemble reste harmonieux, L'entrecorne de 19mm est le bon choix, et on s'y fait bien finalement. La finition est intégralement polie. Encore un parti-pris, mais pas mal vu finalement. Les poussoirs sont ronds et on ne peut plus classiques, de même que la couronne arborant le simple logo de la marque, sans chichis. La carrure est à l'instar du reste, bien marquée, et de mon point de vue de proportions parfaitement cohérentes avec l'ensemble. Un seul bémol : les cornes ne sont pas percées. Bien dommage, c'est quand même pratique les cornes percées, et dans l'esprit d'une montre typée sport.

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Le fond, pour sa part, est de type vissé, avec six encoches bien présentes. L'ensemble est poli, sauf l'arrière fond du logo central, le quel logo est d'ailleurs plutôt sympa. Pas de numéro de série (étonnant dans cette gamme !), mais la mention "édition numérotée" avec le numéro en question. Trois cent exemplaires, ça reste correct pour une édition numérotée, loin des "cinq mille seulement dépêchez-vous y'en aura pas pour tout le monde" de qui-vous-savez.

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Qu'est-ce qui reste ? Ah oui, le bracelet. La Speed est fournie avec un bracelet à larges trous, clin d'oeil appuyé au sport automobile (pourquoi, d'ailleurs ?). De très bonne qualité au demeurant, bien épais avec des bords au carré comme il se doit avec une carrure comme ça. Seulement voilà, les troutrous, c'est pas trop mon truc. J'ai donc commandé vite fait un bracelet plein sur le site de la marque : pas mal du tout, très sobre, et avec une épaisseur qui décroît intelligemment vers les extrémités. Et pour finir, la boucle est à ardillon (merci), d'une grande sobriété également.

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L'heure est venue de faire le bilan de tout ça. Au total, je dirais qu'on a là un produit intelligent et très bien fait. Intelligent, car il reprend avec un certain talent les codes d'un chrono traditionnel, avec ce subtil décalage qui en fait un produit également moderne et finalement original. Bien fait, car la qualité est incontestablement au rendez-vous. De mon point de vue, avec la date, les cornes percées et deux millimètres d'épaisseur en moins, on frôlait le sans-faute. Mais dans tous les cas le résultat est franchement attachant, d'autant que cette Speedgraf n'est pas un simple produit néo-rétro à la mode, mais s'inscrit dans l'histoire d'un modèle et d'une marque... made in France ! Alors, ne boudons pas notre plaisir !

Merci de m'avoir lu.

(1) Haut Conseil pour la Transparence des Conquêtes Féminines

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Il n'y a pas de vérité démontrable. Il n'y a que des hypothèses réfutables (d'après Karl Popper)


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Dadowatches, 28800-3
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