Promenade en mer (Général)

posté par capitaine56 , Toujours près de la mer, 23/03/20, 12:28

Depuis quelques jours, je suis de forte méchante humeur.

Il a suffi pour cela qu'un hurluberlu veuille m'imposer sa visite au fond de ma lointaine province, au prétexte de m'acheter quelques pièces de montre que j'ai mises en vente, faisant fi des règles de confinement et mettant en doute la très fragile santé de mon épouse. Le sombre crétin a bénéficié d'une rafale bien sentie de noms d'oiseaux qui n'ont, hélas, pas atténués ma colère. Qu'ai-je à faire, en vérité, de quelques poignées d'euros vis à vis des risques encourus?

Pour me remettre la tête à l'endroit, j'ai pensé qu'une petite promenade serait la bienvenue, mais force est de demeurer cloîtré. Qu'à cela ne tienne. J'ai remonté du fond de l'océan le seul et unique article que je n'avais pas édité sur Chronomania mais sur un autre forum.

Alors, pour respirer l'air du large, je vous invite à une


Promenade sur le yacht nantais


En cette année de tristesse et de calamités, quoi de mieux pour se remonter le moral qu'une petite ballade en bateau ? Si cela vous chante, je vous invite sur un yacht. Pas n'importe quel yacht, bien sûr. On a sa dignité, quand même ! Non, je vous propose d'embarquer sur le « yacht nantais ».

Quoi ? Vous ne connaissez pas le « yacht nantais » ? Mais tout le monde connaît le « yacht nantais » , même au fin fond du plus sombre terroir ! Tout le monde a vu au moins une fois une image du « yacht nantais », au détour d'un journal, d'un hebdomadaire ou d'une émission de télévision. Pas besoin d'être un accro de « Yachting à voile » ou de « Thalassa » ! Non ? Vraiment ? Pfft... et « Belem », ça vous dit quelque chose, « Belem » ? Ah ! Enfin ! Ben oui, quoi, c'est du Belem dont je vous parle. Le Belem, c'est le « yacht nantais ». En tout cas, c'est le surnom que lui donnèrent, dès son lancement aux Chantiers Dubigeon, les Nantais, qui en connaissaient, en ce temps-là, un bout sur la question.

Pourquoi ce surnom ? Parce qu'il était beau. Beau comme un yacht. Oh, ce n'était pas le plus gros navire de la flotte française ! Le France II, construit à Bordeaux, mesurait 123 mètres, le plus grand voilier qui ait jamais navigué au monde, alors que notre Belem ne dépassait pas les 58 mètres. Ni le plus rapide ! Certains clippers pouvaient sans peine courir tout dessus à plus de 18 nœuds, quand, avec son gréement actuel, le Belem ne rêve que rarement d'atteindre les douze nœuds.

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Le Belem dans son « neuvage ». Coque noire, liseré rouge, pont « flush deck »


Qu'importe, c'était le plus beau, le plus élégant des voiliers, la plus jolie ligne qu'on ait jamais vue sur un bateau de charge. Car le Belem était un bateau de charge, pas de plaisance. Un cargo, quoi. Son boulot à lui, au début, c'était d'aller chercher du cacao outre-Atlantique. Mais il ne rechignait pas sur d'autres cargaisons : il a transporté des mules, du bois et une multitude de produits divers, jusqu'en 1913.

Ensuite, il a aussi transporté de riches britanniques, lorsqu'il fut transformé, ça devait arriver, il était si beau !, en navire de plaisance au gré de ses propriétaires, le duc de Westminster puis sir Arthur Ernest Guiness. Il a servi de base à une unité de la France Libre. Il a embarqué des élèves d'une fondation italienne et il a même été propriété des carabiniers du même pays.
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Le Belem aujourd'hui, tel qu'il a été transformé. Coque noire à faux-sabords, pont encombré par un spardeck (surélévation), bastingage « fantaisie » autour de la dunette, mât de beaupré raccourci, grand voile réduite en raison de la présence du spardeck.

Enfin, un beau jour, un excellent jour, après presqu'un siècle d'absence, il a, par chance, retrouvé son lieu de naissance, Nantes et les rives de la Loire. Par chance, car c'est un miraculé, notre héros :

Il a connu un incendie qui a ravagé ses cales et calciné les malheureuses mules qui y étaient entassées.

Il a échappé à l'éruption de la Montage Pelée à la Martinique.

Il a été épargné par les bombes allemandes lorsqu'il était désarmé à l’Île de Wight pendant la seconde guerre mondiale.

Il a été sauvé des démolisseurs vénitiens par un amateur, le docteur Luc-Olivier Gosse (béni soit son nom!) qui a su reconnaître sous la rouille la silhouette du fier canot qu'il était.

C'est une incroyable histoire que celle qu'il a vécue depuis ce 10 juin 1896, au matin duquel il toucha pour la première fois les eaux. Mais comme il ne m'est pas permis d'être trop longtemps hors sujet, je vous propose de visiter notre beau navire en faisant le tour de son réseau de l'heure. Allez, embarquez !

Le réseau de l'heure, sur un bateau, vous savez ce que c'est. Non ? Bon, faisons simple: le réseau de l'heure, c'est un certain nombre d'horloges, de chronomètres, de montres et une cloche qui donnent l'heure du bord. Voilà voilà voilà. Je ne suis plus hors sujet.

Nous allons faire le tour de ce réseau, en commençant par l'élément essentiel, vital, incontournable : la cloche du bord. C'est elle qui « pique »  les « quarts ». C'est elle qui pointe les heures des repas de chaque « bordée » (si vous ne suivez pas, allez m'attendre au bar). En cas de brume, c'est elle qui signale la présence du navire au mouillage. En cas de détresse, c'est elle qui appelle au secours. C'est elle qui possède la seule et unique corde à bord. Toutes les autres ficelles sont des cordages.

La cloche et sa corde. La seule à bord, j'insiste.
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Comme vous pouvez le voir, on ne fait pas briller la cloche. Le battant, oui, pas la cloche. C'est comme ça, sur le Belem. On fait briller plein de trucs...pardon. On fait TOUT briller (sauf la cloche, je crois vous l'avoir dit) la preuve :
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Tout !

Corvée d'astiquage du compas
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Note: l'individu n'est ni un gilet jaune ni un bonnet rouge mais un stagiaire corvéable à merci


Le charnier du grand roof( pour les néophytes, le charnier est un grand récipient que l'on remplissait d'eau à l'usage de l'équipage)
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Absolument tout ! Dehors et dedans
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Et quand je dis tout !
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Mais alors tout... oui, au dessus, ce sont les portes des douches et des ...euh...bon. Ben, dedans, c'est pareil ! Ça brille ! Et là, en dessous, ce sont les lavabos des stagiaires :
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Faut qu' ça brille aussi.

Sauf la cloche. Celle-ci, en dessous, c'est la cloche de poupe. Oui, j'avais oublié de vous le dire. En fait il y a deux cloches, parce que le canot est assez grand, quand même. A l'avant, la cloche de « misaine » au pied du mât du même nom, à l'arrière, la cloche de poupe. Qui ne brille pas non plus. Contrairement au « meuble » qui est devant, qui s'appelle la « tortue » et qui contient le mécanisme de la barre. Ceux qui suivent auront compris qu'il y a donc deux cordes à bord, contrairement à ce que j'ai affirmé tout à l'heure. Mais que deux, hein !
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Pour les terriens, le truc rond qui est devant la tortue et qui brille, c'est la barre, pas le volant.


Cet habile retour sur la cloche me permet de revenir à notre réseau de l'heure, qui est sensé être le fil d'Ariane de notre visite. Suivez le guide. Tout à l'heure, nous étions au quartier des stagiaires. On y retourne. Voici la table. Certains pochetrons de ma connaissance remarqueront tout de suite la cruelle absence de toute boisson alcoolisée. Hélas…
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Et au fond, sur la cloison (qui a dit « le mur » ? N'importe quoi!) que voyez-vous sur la cloison ?

Ça :
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L'horloge du quartier des stagiaires. Bon, d'accord, elle est, c’est regrettable, à quartz. Mais elle brille.

Allez, on remonte sur le pont. C'est beau, hein ?
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C'est la coursive tribord, vue de l'avant. Tribord, c'est le côté smart. La droite, pour certains. C'est comme pour certaines rues. Il y a un côté plus smart que l'autre. Sur un bateau, c'est le côté tribord. C'est à tribord que se trouve la cabine et le salon du Commandant, sous la dunette où se trouve son poste de commandement. A tribord aussi, bien sûr.

Le quartier des officiers est tout à l'arrière, sous la dunette. La cuisine, lieu essentiel et vital, est à l'opposé, à l'avant du spardeck. Le poste de l'équipage est sous le gaillard d'avant. Les stagiaires sont logés dans la batterie.

Dans la cuisine, il y a une horloge, parce qu'un repas en retard et paf ! Mutinerie ! On ne rigole pas avec ça. Surtout qu'on n'a même pas droit au pinard, alors, on ne débloque pas avec la bouffe. C'est vrai qu'on mange bien, à bord et si le gargouillou ne s'était pas mis devant mon objectif, vous auriez vu toute l'horloge.
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Alors, j'ai recommencé, sans le cuistot. Ne croyez pas qu'il y a deux horloges ! C'est le reflet dans le plafond, parce que la cuisine brille aussi. TOUTE la cuisine !
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Pour information, c'est dans cet espace que nos deux héros (je pèse mes mots) préparent six fois par jour (il y a deux bordées) les repas de l'état-major, de l'équipage et des stagiaires. Cent trente repas !

Faut vous dire, M'sieur, que tous ces gens-là... ils mangent, M'sieur, ils mangent !
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Allons, sortons de ce lieu de perdition pour notre ligne et reprenons notre promenade.. On vire à droite et l'on entre dans le salon du grand roof, là où trône le bar.
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Oui, je sais, vous me l'avez déjà dit : ça brille. Mais l'horloge du bar brille par son absence. Elle a été remplacée par la plaque qui brille au milieu. Petite précision : le bar ne sert à boire qu'une seule fois, au moment du pot d'adieu. Triste…

Fuyons vite ce sinistre endroit. Toujours en direction de la poupe, nous trouvons le petit salon du grand roof. Il est réservé à Messieurs les Officiers. Ah! Le Marine, j'vous jure, c'est d'un snob ! On se croirait encore à l'époque du Grand Corps, quand les Commandants devaient être obligatoirement nobles, ce qui nous a valu quelques fieffés couillons sur la dunette de nos beaux navires et nous a fait subir de sévères roustes de la part de nos chers ennemis favoris les rosbifs qui ne s'arrêtaient pas à ce genre de détails.
Mais où je vais, moi ? Ah oui, au carré des officiers. Il y a une horloge et cet ancien fanal, fixé le long d'une manche à air et qui brille de tous ses feux.
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Vous avez vu ? A droite, il y a un frigo. Je vous parie qu'ils y ont mis des boissons interdites à rafraîchir, les chameaux. Quant au coffre, au premier plan, je suis certain qu'il contient derrière ses serrures rébarbatives ce qui se boit à température ambiante. C'est bête, hein ? Je n'ai pas les clés. Enfin… l'horloge est au fond, là-bas.
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Sympa, le coin ,non ?

Quittons ce havre de luxe et de perdition et poursuivons. Nous arrivons au niveau de la descente vers les appartements de ces Messieurs. Ah ! Une autre horloge !
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Hop ! On remonte. Direction la timonerie. Elle est située à l'avant de la dunette, derrière le spardeck. Euh...c'est pas bien clair, ça. J'explique: la dunette, c'est à l'arrière, à la poupe, quoi. Le spardeck, c'est au milieu du pont, derrière la proue, qui est l'avant. Ben, la timonerie elle est à l'avant de l'arrière et à l'arrière du milieu. Mais au dessus. Au dessus de l'arrière, quoi. Mais je suis sûr que vous avez compris.
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La timonerie, au dessus des appartements du Commandant, vue de la coursive tribord. Au centre, l'ancre de miséricorde.


Ah ! Ce spardeck ! Non seulement il a nécessité de réduire la surface de la grand-voile, non seulement il a gâché la silhouette du navire, mais en plus, il bouche la vue des officiers qui ne peuvent plus se tenir sur la dunette, comme il se doit. Alors, le Commandant et ses subordonnés sont contraints de grimper sur la timonerie pour veiller à la manœuvre. Pratique ! Merci Monsieur le duc de Westminster !
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Le Commandant sur la timonerie, où a été positionné un jeu de commandes à distance des machines.


Donc, voici la timonerie. Ce n'est pas exactement ce qu'on s'attend à trouver sur le plus ancien voilier d'Europe. C'est même carrément moderne, au point de vue matos.
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Mais on a gardé quand même le baromètre enregistreur, à gauche, surmontant l'indicateur de gîte, un compas de relèvement à main (on le voit sous l'écran du radar principal) et la barre de secours. C'est simple : tout ce qui brille est ancien, tout ce qui est gris est moderne. Et tout ce qui est gris, moche et moderne donne l'heure. Mais c'est moche…

Bon, on redescend et on remonte en face pour aller voir le spardeck. Il y a l'ancien compas de route, qui est là pour faire joli et que l'on astique, plein de bouts et de cordages divers, les embarcations et une vue imprenable.

Le spardeck, vu de la dunette
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La timonerie, vue du spardeck
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Bon, vous avez vu ? Hop, on descend à nouveau ! pénétrons sur la pointe des pieds dans le lieu sacré, le Saint des Saints : le salon du Commandant. D'accord, la corbeille à papiers n'est pas d'époque, mais admirez cette demi-coque et l'horloge qui la surmonte :
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Le bureau du Commandant, dans son salon


Je vous sens bouillir d'impatience : où sont les autres horloges ? Les montres ? Bref, les seules choses qui vous intéressent.

Alors, je suis allé voir partout : dans la salle des machines.
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(pour les amateurs de mécanique: deux moteurs John Deere de 575 CV chacun reliés à deux hélices quadripales. Dans sa jeunesse, le Belem ne possédait aucun moteur.)

Dans la cambuse.
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Chez le charpentier.
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Dans le magasin du Bosco
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Le bide total ! Pas une horloge, pas un chrono.

« Faut dire, M'sieur, que tous ces gens-là ont des montres à quartz, M'sieur, à quartz ! »

Alors, j'ai abandonné ma quête du Graal et je me suis promené le nez en l'air ou au ras de l'eau. Je crois que ça en valait la peine. Tenez, par exemple, j'ai découvert une déco amusante. Au niveau de l'axe de nombreuses poulies, des pièces de monnaie en provenance de quelques uns des pays où notre vaillant coursier a fait escale.
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Exercice : identifiez les pays concernés, sachant que le Belem a fait le tour du monde, sans jamais être passé par le Cap Horn.

Parfois, on fait des rencontres :
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Il arrive que le temps change :
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Que la mer éblouisse :
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Que l'escale soit magique :
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Les Finistériens auront reconnu l'île du bout du monde...Ouessant.


Quelques regards vers le ciel :
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Vers la mer :
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Et l'horizon :
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Sans oublier :
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Et quelques membres de l’équipage :
Le Commandant Jean Yves Le Morzadec (ceux qui ont deviné l' origine de son nom ont gagné un verre de chouchen)
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Le Commandant et le Premier Lieutenant
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Le second Lieutenant
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Le Bosco (maître d'équipage)
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Le chef mécanicien (remplaçant), sa montre à quartz,
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Des gabiers
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Des matelots (dont une… matelote)
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Et pour n'être plus du tout hors sujet :

La montre que je portais à bord.
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Kenavo

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Je tiens beaucoup à ma montre, c'est mon Grand Père qui me l'a vendue sur son lit de mort (W. Allen)


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