Les brocs (Articles)

posté par capitaine56 , Toujours près de la mer, 01/11/16, 12:27

Les brocs me mettent de mauvais poil !

Ce week-end, grande braderie aux objets d'art et antiquités chez les Petits Frères des Pauvres à Nantes. Ouverture des portes au public à neuf heures.

Mon fidèle Matelot et moi nous nous levons de bonne heure et dès huit heures quarante cinq, nous sommes à la porte du local. Tout va bien, donc.

Non.

Les immatriculations des véhicules garés aux premières places du parking nous ont mis la puce à l'oreille : les brocs de Paris et d'ailleurs sont déjà sur place, semble-t-il : 94, 92, 75, 78, 56, 29, 17, 50 ! La moitié de la France se serait-elle donnée rendez-vous ici ? C'est un bonheur pour les Petits Frères. Pas pour l'acheteur lambda.

Neuf heures tapantes, les portes s'ouvrent. Ruée. Nous ne sommes pas dans les premiers, loin de là! Ce n'est pas croyable. A quelle heure fallait-il arriver? Hier soir, peut-être.

J'aperçois de loin le stand des horloges. Apparemment, il y a de belles choses, bien présentées, derrière des tables bien alignées, où officient de charmantes vieilles dames bénévoles. Ce n'est pas ce qui me passionne le plus, mais pourquoi ne pas commencer par là ? Bousculade. Un type très affairé se place au premier rang, désigne huit horloges : celle-ci, celle-ci, celle-ci, celle-ci, celle-ci, celle-là, celle-là et celle-là, c'est pour moi. Il ajoute : ces deux-là aussi. Il vient de rafler les trois quarts du stand. Sans même s'enquérir des prix. Il est 9 heures dix.

Écœuré, je pars à la recherche des montres. Elles sont de l'autre côté de la salle, avec les bijoux. Devant ces derniers, une horde sauvage de femelles déchaînées se bagarrent pour atteindre le premier rang. J'y aperçois une acheteuse d'or bien connue sur la place. Elle achète, achète, achète. Quant aux montres, je les entrevois enfin. Des goussets et des montres de col. Deux bonshommes, coudes écartés, font barrage devant la vitrine et monopolisent deux bénévoles. Ils font sortir les montres une à une.

« Je prends. Je prends. Je prends. Pas celle-ci. Ces deux-là, oui. Et celle-là aussi. »
Il est neuf heures trente. Il reste cinq, CINQ, montres sur le stand. Je peux enfin m'approcher. Ce qu'il reste ? Des rogatons.

« Aviez-vous des montres bracelets ? Demandais-je, sans aucune illusion.

Une charmante hôtesse me répond :

-Oui. Toutes parties ! »

Mon Matelot tente de s'approcher des bagues, juste pour voir. Peine perdue. Une grosses professionnelle a entassé dans une boîte cubique d'environ quinze centimètres de côté, bagues, colliers qu'elle a déjà payés et dont une bénévole se charge d'ôter les étiquettes ; elle a du boulot, la petite ! Il lui faut consacrer à cette tâche plus de temps que l'acheteuse en a mis pour choisir. Au demeurant, elle n'a pas choisi : elle en a pris un maximum.

Ne restent que quelques colliers de perles d’élevage et des broutilles en plaqué.

Direction les tableaux. Il y a de tout, dont de jolies choses. Pas de grandes signatures, bien sûr, mais quelques œuvres de bon aloi. Vendu, vendu, vendu...Il n'est pas dix heures ! C'est hallucinant. Plus de la moitié portent l'étiquette maléfique. Ma douce finit pas dénicher une aquarelle qu'elle peut s'offrir, petit tableautin à peine visible au ras du sol.

Dix heures trente. Le secteur des porcelaines et faïences a été dévalisé. Plus loin, une demi-douzaine de vieilles dames s'affairent à emballer la verrerie et les cristaux. L'argenterie s'est envolée, ne reste que le métal argenté ! Seuls, les stands de la numismatique et de la cartophilie sont moins agités. Il faut dire que des pros ont monopolisé toutes les chaises de ces stands, face aux bénévoles, et font tranquillement leur marché, séparant soigneusement le bon grain de l'ivraie. Plus la peine de chercher un pied fort, une pièce d'essai ou une frappe peu courante!

Retour vers le stand des pendules. Je veux montrer à mon Matelot celles qui ont été kidnappées par le broc. Je découvre alors, tout surpris, un petit réveil de voyage, style pendulette dite "d'officier". Il est signé Paul Garnier, à Paris. Comment cette signature a-t-elle pu échapper aux charognards? C'est que la petite n'était guère visible, rangée parmi d'autres pendules moins attractives. Ma belle de son côté déniche une pendulette gainée de cuir signée DEP . Pas les trouvailles du siècle, mais sympa. On achète.

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Petit tour rapide du côté des meubles. Hou-la ! C'est fou le nombre de ceux qui arborent déjà les étiquettes « vendu ». Il va être onze heures et les gens du cru continuent d'arriver. Les pauvres ! Il ne leur reste pas grand chose de qualité à se mettre sous la dent.

Le temps pour nous de prendre un petit café et une pâtisserie maison préparée avec amour par de charmantes grand-mères qui n'ont pas lésiné sur le beurre, les œufs, le sucre et le chocolat, les brocs sont déjà en train de charger leurs fourgons, direction la capitale.

Demain matin, il y aura des nouveautés, du côté des puces de Montreuil ou de Saint-Ouen ! Je regarde ma montre. Onze heures à peine passées. Demain matin ? Un bref calcul. Non, dès cet après-midi.

Il est temps de nous enfuir. Derrière le bâtiment, un camion est maintenant stationné. A la louche, un cinquante mètres cubes. Sur les battants de la porte arrière, on peut lire engrosses lettres: “déménagements X...SAINT OUEN." Allons, la messe est dite.

Ce qui me met en boule, c'est que la totalité de ces objets, venus de toute la région et présentés avec soin, provient de dons gracieux de braves gens, riches vieilles familles nantaises ou pas, peu importe, qui ont voulu faire œuvre charitable.

Ce qui me met en boule, c'est que tout le travail de collecte, de publicité, d'organisation, de présentation a été effectué gratuitement par des dizaines de bénévoles.

Certes, en un sens, le but est atteint, puisque les Petits Frères ont vendu aux prix qu'ils ont eux-mêmes fixés, la plus grande partie de ce qui leur a été remis. Mais quel va être le coefficient multiplicateur des rapaces qui ont accaparé les plus jolies pièces ?

Je sais, je sais, c'est la loi du marché.

Je sais, je sais, il en est de même en salle de ventes.

Je sais, je sais, je suis un vieux ronchon.

Tant pis.

Les brocs me mettent de mauvais poil.

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Je tiens beaucoup à ma montre, c'est mon Grand Père qui me l'a vendue sur son lit de mort (W. Allen)


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Gw
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