Un sextant, c'est hors sujet? (Articles)

posté par capitaine56 , Toujours près de la mer, 01/02/16, 15:48

Un sextant, c'est hors sujet ?

Oui, non, peut-être...quoique...

Et bien moi, je prétends que non. Parce qu'un sextant, c'est vrai, c'est un instrument d'optique, mais ça ne fonctionne qu'en compagnie d'un chronomètre, sinon, ça ne sert à peu près qu'à être joli. Il est en effet habituel et recommandé de faire le point toujours à la même heure, l'idéal étant midi. D'où l'intérêt de disposer d'un chronomètre.

Le sextant permet de se situer en latitude. Le chronomètre permet de se situer en longitude, par comparaison avec l'horloge-mère du bord. Connaissant la latitude et la longitude, on sait où on est, sauf les Dupontd, qui situent la position du "Sirius" à l'intérieur de la basilique Saint Pierre de Rome (voir "le secret de la Licorne";).

Le sextant est également utilisé en navigation côtière, pour calculer la distance entre deux amers. L'amer n'ayant rien à voir avec le Picon, bien entendu, quoiqu'un amer puisse être un bistrot, pourquoi pas?, l'amer étant un point caractéristique de la côte et si vous m'avez suivi jusqu'à maintenant c'est que vous êtes rudement patients. Donc, merci de tenir compte de l'importance du chronomètre pour n'être pas du tout hors sujet.

Avec un sextant et un chronomètre, on peut faire le tour du monde, sur mer comme sur terre, parce qu'au milieu de l'Atlantique ou du Kalahari, par exemple, ça manque un peu de poteaux indicateurs, m'a-t-on dit. Certes, le sextant n'est guère utilisable au milieu de la chaîne de l'Himalaya, car l'horizon n'est pas vraiment horizontal, mais au milieu de la plaine de la Beauce, ça va et la cathédrale de Chartres fait un excellent amer pour retrouver la route de Rambouillet.

Aussi vais-je tenter de vous parler sextant. Ou plutôt d'un sextant. Celui que vous allez voir maintenant. D'où sort-il ce sextant ? Ceux qui ont répondu « de sa boîte » ont gagné.

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Mais il sort aussi d'une armoire et d'un emballage en papier qui permet de savoir depuis quand il n'a pas été utilisé, et ça fait un bail !

En effet, le papier d'emballage, c'est un journal: "Ouest Éclair", le prédécesseur de "Ouest France" dans un lointain passé et le numéro qui nous intéresse en tant qu'emballage, est celui du 27 mars 1940, le petit bonhomme Paul Reynaud étant alors Président du Conseil tandis que nous étions en guerre depuis 204 jours, sous le commandement de l'invincible Général Maurice Gamelin.

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Ayant désenveloppé l'objet avec le plus grand soin, voici ce que je découvre :

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Oui oui oui oui oui...pas nickel, tout ça. Pas nickel, mais parfaitement complet, jusqu'aux miroirs de rechange eux aussi soigneusement enveloppés. L'instrument est signé "Lenoir à Paris". Quelques recherches sur Google et je découvre un certain Schwartz, dit "Lenoir" (logique pour ceux qui parlent allemand !) à Paris, fabriquant d'optique au XIX ème siècle. Intéressant...

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Maintenant, y a plus qu'à :

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C'est vraiment crasseux : laiton oxydé, vert de gris, vieilles coulures de "Miror" ou quelque produit approchant...

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Dévissage délicat ! Va falloir reprendre...

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Tout le monde est là ?

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Les passagers du premier wagon, au bain ! En premier lieu, pétrole désaromatisé, pour la grosse crasse

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Ceux du second wagon, en salle d' attente ! 

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Pendant que ça décante, un peu d'Histoire, pour meubler, car cet engin, il a appartenu à quelqu'un, évidemment. Et pas à n'importe qui, parce qu'un simple matelot jamais n'a possédé un tel outil.

Inutile de faire durer un suspense qui n'existe pas: le sextant m'a été confié par une amie, récemment veuve du Commandant Raymond Kerverdo. Si son nom ne vous dit rien, peut-être connaissez-vous le paquebot "Antilles"?

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Et le paquebot "France", cela vous rappelle quelque chose?

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Et bien, Raymond Kerverdo fut le Commandant de l'un et de l'autre, ce qui n'est pas peu! Homme discret, modeste, de très grande culture, le Commandant a largué ses dernières amarres voici quelques mois...

Quant au sextant qui vient d'atterrir sur mon bureau, ce ne fut pas le sien, mais celui de son père, marin comme lui, marin comme le fut son grand-père également et le père de celui-ci. Autant d'eau salée dans les veines que de sang! Il s'appelait Louis Emile Kerverdo.

Né le 3 janvier 1881, il s'engage comme simple matelot dans la Marine Nationale, en février 1901. Il est cadre de Maistrance en février 1909. Il obtient son brevet de pilote et termine sa carrière avec le grade de Maître Principal Patron Pilote, après avoir reçu la Médaille Militaire et la Légion d'Honneur. Belle réussite pour le fils d'un simple pêcheur du Croisic. Louis Emile a, pendant la Grande Guerre, commandé le torpilleur 252, petite unité de 86 tonnes au rôle ingrat, puisque chargé de surveiller les abords de la base de Cherbourg, de découvrir et de détruire autant que faire se peut les mines déposées par les sous-marins ennemis.

Il s'illustrera tout particulièrement le 19 août 1917 en se portant au secours d'un vapeur au beau milieu d'un champ de mines, sauvant les survivants et blessés et en étant sévèrement secoué et endommagé lui-même par une mine flottante sautant à proximité (voir: pages "14-18 forum";)


Le torpilleur 252, à Lorient

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C'est donc une précieuse relique que je vais m'efforcer de ramener à la vie.

Le premier bain est rendu à mi-parcours. Changement de produit: le super décapant made in USA: Coca Cola!

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Pendant la seconde moitié du bain des pièces les plus délicates, la deuxième wagonnée a eu droit à sa séance de décrassage. Pas de sentiment! Eau chaude, liquide vaisselle et récurage vigoureux. Ensuite, astiquage au "Jex" ultra fin et à la "pierre d'éclat". Attention! Il ne faut pas que ça ait l'air neuf!. Voilà ce que cela donne:

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Entretemps, le délicieux breuvage qu'il vous arrive peut-être de déguster, inconnsients que vous êtes, a commencé à produire son effet. La preuve:

Partie gauche, trempée, partie droite, pas trempée:

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Partie basse, trempée, partie haute pas trempée:

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Là aussi...

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Finalement, j'ai bien raison de préférer le Bordeaux au Coca-Cola. Sauf pour décaper, bien sûr, parce que je n'aurais pas obtenu le même résultat avec un Haut Brion ou un Château Latour.

Après quoi, un peu d'huile de coude, et on obtient un résultat à peu près convenable à moidre coût. Voici ce que cela donne après remontage:

Dessus:

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Dessous:

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Détail:

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Dedans:

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Merci Coca Cola, merci, la Pierre d'éclat, merci le tampon Jex.

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ATTENTION!

Cette méthode n'est pas forcément recommandée pour le nettoyage de vos calibres Lange & Söhne ou vos boîtiers Patek Philippe...

Ne vous plaignez pas de n'avoir pas été prévenu!


C'est tout pour aujourd'hui? Non!


En restituant le sextant à sa légitime propriétaire, je lui explique l'histoire de la relation entre la montre et le sextant. Après m'avoir avoué son ignorance, elle se souvient tout à coup:
"Mais, il avait une montre enveloppée dans du papier à côté de cet instrument!
-Vous voyez, je m'en doutais. Pouvez-vous me prêter celle-ci?
-Mais comment donc!"

Quelques jours plus tard, la promesse est tenue et je la vois déposer sur ma table ceci:

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Me voici donc totalement dans le sujet!

J'ouvre le dos de la montre:

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Bien entendu, vous connaissez tous les fabriques Tribaudeau à Besançon, mais pour ceux qui auraient un moment de distraction, un petit rafraîchissement de mémoire serait peut-être le bienvenu.

Or donc, en 1876, Monsieur Georges Alexandre Tribaudeau fonde l'entreprise qui porte son nom: Fabriques G. Tribaudeau, rue des Fontenottes à Besançon. Pourquoi "fabriques" avec un S final? Parce que l'entreprise ne se limite pas à la fabrication de montres, mais propose également à son catalogue, des bijoux, de l'orfèvrerie et même des décorations.

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Sans prétendre rivaliser avec les grandes sociétés de l'époque, Tribaudeau fabrique des montres au rapport qualité-prix très intéressant et les vend par correspondance, ce qui limite les coûts de distribution. Comme bien d'autres, la manufacture disparait à la fin des années 1970 malgré les efforts financiers consentis par la famille du fondateur, restée propriétaire de la fabrique jusqu'au dépôt de bilan final, vers 1980. Par la suite, la marque sera ressuscitée et deviendra le premier fournisseur de montres publicitaires.


La montre de gousset que voici correspond en tous points à ce que pouvait rechercher un officier-marinier au début du XXème siècle: simplicité, lecture aisée, robustesse.

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Sans être un fin connaisseur, je remarque que le balancier est de grande dimension, presqu'aussi grand que le barillet, gage de précision. Je trouve que l'ensemble, tout en acier, loin d' être luxueux, respire le sérieux. Le boîtier en argentan n'a pas pris une ride. Bref, un bon outil, qui complète logiquement notre brave sextant.

Bien sûr, après plus de soixante dix ans de repos, la petite dame a besoin de se dégommer les articulations, car les huiles sont sévèrement gommées, mais il suffit de toucher délicatement le balancier pour constater qu'il ne demande qu'à reprendre son boulot sans se faire prier.

Je suis ravi, d'autant que mon amie me déclare tout de go
"Elle vous plait? Elle est à vous."

Pas question de se faire prier et dès très bientôt et même avant, ma Tribaudeau va aller rendre visite à mon horloger avant de rejoindre mon étagère: "souvenirs-souvenirs".

Kenavo.

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Je tiens beaucoup à ma montre, c'est mon Grand Père qui me l'a vendue sur son lit de mort (W. Allen)


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