Naissance et vie d'une marque: Pirofa. Chapitre UN (Articles)

posté par capitaine56 , Toujours près de la mer, 24/11/15, 18:43

Une banlieue calme, un quartier calme, une rue calme, à Nantes. De part et d'autre, de sages maisons , cossues sans ostentation. En retrait, une allée gravillonnée bordée d'une haute haie donne dans un jardin cernant une belle demeure, sage elle aussi et de qualité. A sa porte, un homme mince m'accueille avec un demi-sourire un peu interrogateur, un peu prudent. Il sait pourquoi je viens le voir, car rendez-vous a été pris. Il s'étonne que quelqu'un s’intéresse à son histoire, qu'il prétend banale.

Il se nomme Robert Fontaine.

Nous entrons, nous nous asseyons et il me pose la même question que lors de notre entretien téléphonique préalable :

« Pourquoi vous intéressez-vous à moi ?

- N'étiez vous pas le responsable de la marque nantaise Pirofa comme Alexandre Ducoudray l'était d' Arvor, l'autre marque nantaise?

- Mais mon histoire est semblable à celle de Monsieur Ducoudray !

- J'en doute, cher Monsieur, chaque marque a son histoire. Parlons-en, voulez-vous ? »

Et nous avons parlé. Longuement. Cette histoire dite banale, je souhaite vous la raconter. Alors, si vous en avez le temps, je vous invite à vous asseoir, prendre un verre et à lire ces quelques paragraphes.

N'en déplaise à ses habitants, la Nièvre, n'est pas la région touristique la plus attrayante de France. Néanmoins, juste à la limite des crus de Loire et de ceux de Bourgogne, on y trouve les Pouilly, Fumé et Fuissé, qui méritent que l'on s'y attarde. Cela dit, ce n'est pas de la Nièvre dont je souhaite vous entretenir, ni de ses vins, mais d'une de ses petites communes qui sera le point de départ de notre histoire : Corbigny.

Corbigny

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En 1869, cette jolie petite cité compte environ deux mille habitants et un horloger. En mai de cette année-là, Napoléon le Petit étant Empereur, l'épouse de Jean-Baptiste, notre horloger, donne le jour à un fils qui s'appellera comme son père : Jean-Baptiste, Louis, Fontaine. Avec lui va commencer notre aventure, contée par Robert Fontaine, son descendant, que j'ai l'honneur de vous présenter :


Robert Fontaine, novembre 2015
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« Quand il eut atteint une vingtaine d'année, pour une raison que j'ignore, mon Grand Père quitte son village natal et vient s'installer à Nantes. il y rencontre et épouse, sur les alentours de 1896, Marie Guillet, bretonne garantie d'origine, native de Ploermel. En décembre 1898, Marie donne le jour à un fils, Robert, né à Nantes, qui sera un jour mon père.

Jean-Baptiste travaille alors pour un fournituriste de Cholet, dans le Maine et Loire. En 1904, mon grand-père, qui a naturellement appris le métier près de son père, et Marie ouvrent une horlogerie-bijouterie à Le Fuillet, non loin de Cholet.

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Le 27 octobre 1905, un second garçon, prénommé Jean, voit le jour. La vie poursuit son petit bonhomme de chemin, l’horlogerie-bijouterie-orfèvrerie prospère, les deux garçons suivent la voie du Papa et travaillent avec leurs parents.

En 1925, Robert épouse Marie Emeriau et s'en va ouvrir en 1928, devinez quoi ? Une bijouterie-horlogerie à Longué, près de Saumur.

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Mon oncle Jean demeure à Le Fuillet et prend la suite de son père qui s'est retiré. En 1931, il épouse Marie Chevalier, avec qui il poursuit l'activité d'horlogerie dans la même commune. Vous voyez, tout cela est bien sage, bien banal.

- Je pense que ça va changer. Reprenons le cursus familial.

- Bon. Robert, le premier-né de Jean-Baptiste a trois enfants :

Ma sœur aînée Jeanne, née en janvier 1930
Pierre, mon grand frère, né en juin 1932
Et moi, Robert, né en mars 1934.

Robert Fontaine père
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Vous suivez ? Bon. Après deux Jean-Baptiste, nous voici avec deux Robert, trois Marie, un Jean, une Jeanne et un Pierre Fontaine. Tous travaillent dans l'horlogerie, qui comme réparateur-orfèvre-bijoutier, qui comme vendeuse, caissière, que sais-je encore !

Mon frère Pierre et moi, recevons sur le tas une formation assurée par notre père, sans être jamais passés par la moindre école spécialisée.

Survient la guerre. Mon père est trop âgé et nous trop jeunes pour y participer. Après celle-ci la France emanque de tout, y compris de montres. Notre père s'arrange pour diffuser, au compte-goutte et non sans difficultés, quelques montres telle celle-ci:

Montre Lici, acier, N.O.S. (prop. R. Fontaine)
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En 1952, il a l'opportunité d'acquérir auprès d'un bijoutier d'Angers, une licence d'importation de montres suisses. Il saute sur l'occasion, mais se trouve confronté à un problème majeur : l'interdiction de cumuler les activités d'importateur et d'horloger.

La parade est vite trouvée : Pierre et moi, qui n'avons pas encore vingt et un ans, âge de la majorité à l'époque, sommes émancipés afin de devenir les titulaires de la fameuse licence. Chacun de nous conserve son autonomie fiscale. Cet habile montage va nous permettre d'écouler en France, le plus légalement du monde, d'authentiques montres suisses. La négociation s'engage alors avec différents fabricants et un accord est trouvé avec deux marques : Auréole, et Nicolet.


Chronographe Auréole, acier
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Montre Auréole, acier

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Auréole : marque fondée en 1868 par Philidor Wolf à la Chaux-de-Fonds. Reprise en 1948 par Marcel Chauffat, fabrique jusqu'à 400 000 pièces en 1968, équipées de calibres Ébauches S.A. (source Le Point Montres) N.D.R.

Chronographe Nicolet

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Montre Nicolet, or

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Montre Nicolet, acier

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Charles Nicolet : marque fondée par Charles-Albert Nicolet (1890/1945) en 1914. A son décès l' entreprise est reprise par son épouse et ses fils. Elle deviendra Nicolet Watch S.A. avant de disparaître en 1978. (Source Chronomania) N.D.R.


Dans la foulée, nous déposons le nom d'une nouvelle marque :

Pirofa
PI pour Pierre
RO pour Robert
FA pour FontAine




- C'est donc en 1952 que l'aventure Pirofa commence ?

- Pas tout à fait. Cette marque déposée, nous décidons, dans un premier temps, de ne l'exploiter que parallèlement à celles avec qui nous sommes sous contrat.

- Pourquoi ?

- Un autre problème se pose, et pas le plus facile à résoudre: les fabricants imposent un quota d'achats que notre père et nous sommes bien incapables d'écouler. Or la licence est renouvelable tous les six mois et est soumise à la réalisation des objectifs assignés. Certes, un autre magasin avait été auparavant acheté à Beaufort en Vallée, toujours dans le Maine et Loire, mais, même avec l'apport de ce dernier, c'est loin d'être suffisant.


Beaufort en vallée
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Notre père contacte alors les horlogers voisins auxquels il va rétrocéder une partie de son stock, ce qui permet d'atteindre les objectifs fixés.

- Amusant, ça ! Je crois savoir que l'on appelle aujourd'hui cette pratique le « marché gris »...

- Je ne sais pas. Ce que je sais, c'est que notre système arrangeait tout le monde : les fabricants qui n'avaient affaire qu'à un seul client réputé solvable, les horlogers qui avaient de jolies montres à vendre et nous-mêmes qui réalisions nos objectifs.

En 1952, Pierre est appelé sous les drapeaux. Il revient en 1953. En 1954, il achète une voiture, y charge des marmottes pleines de montres et prend la route pour agrandir le territoire de chasse de la famille, tandis que notre père demeure à la boutique.

A mon tour, je vais servir la Patrie en janvier 1955. La guerre d'Algérie a débuté et peu après, Pierre est rappelé. A l'issue de ce rappel, nous nous croisons sur les quais d'Alger car j'ai été envoyé moi aussi « villégiaturer » six mois outre Méditerranée. Passons sur cet épisode. Je reviens terminer mon temps en métropole et je regagne mon foyer après vingt-neuf mois d'absence.

Les choses sérieuses commencent. Ni Pierre ni moi n'avons d' attirance particulière pour le travail à l'établi, bien qu'ayant l'un et l'autre acquis une excellente pratique du métier. Nous avons davantage l'âme commerciale, nous sommes ambitieux et n'avons que trente ans. L'avenir est à nous ! Nous décidons de prospecter l'ouest de la France: à Pierre le Val de Loire jusqu'à Orléans, la Vendée et la Normandie. A moi la Bretagne, et toute l'Aquitaine.

- Joli territoire, pour deux.

- Certes. En 1964 nous écoulons plus de vingt mille montres par an.

- Pas mal !

- En effet, mais en bons commerciaux, cela ne nous suffit pas. Au mois de juin de cette année-là nous déposons à Nantes les statuts de la nouvelle société, une S.A.R.L. :

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Société des Industries Horlogères PIROFA


Pierre Fontaine (à gauche) et Robert Fontaine (à droite)

[image] [image]


Le siège social est au 13 de l'avenue Albert Camus à Nantes, Pierre est tout naturellement le gérant en titre, et moi... je ne sais plus trop quel était mon titre !

- Directeur commercial ?

- On peut dire ça. Marie-France, l'épouse de Pierre et Monique, ma femme, en sont les collaboratrices, et pas seulement nomminativement, croyez-moi ! Elles s'occupent de toute la partie gestion, administration et comptabilité, ce qui n'est pas peu. Notre société est l'archétype d'une entreprise familiale.

- Vous vous étiez donc mariés entre-temps ?

-Oui, mon frère en décembre 1958 et moi en décembre 1961.

- Et c'est parti pour Pirofa?

-En effet, c'est parti pour Pirofa!

@ SUIVRE !!!

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Je tiens beaucoup à ma montre, c'est mon Grand Père qui me l'a vendue sur son lit de mort (W. Allen)


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charles
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