L'incroyable horloger, seconde partie (Articles)

posté par capitaine56 , Toujours près de la mer, 08/10/15, 20:45


Message important : ceux qui n'ont pas lu le premier chapitre ne comprendront rien au second !

Me voici de retour. De quoi parlions-nous, déjà? Ah! De ça:

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Détail émouvant : Daniel Vachey a également écrit en 1967 :


« Les côtés de l’horloge sont constitués par des panneaux de bois sculptés et peints en vitraux où des initiales sont visibles. Ce sont celles de mes oncle et tante qui ont offert mes études à l’Ecole d’Horlogerie d’un côté et de l’autre celles du constructeur et de celui qui m’a appris un des plus beaux métiers du monde. »


Tout Vachey est dans cette phrase. C’est un homme au savoir immense et d’une immense modestie. Jamais, pendant la construction de sa machine, il ne s’est vanté de son travail, bien qu’il y consacrât la quasi totalité de ses loisirs, l’essentiel de son temps et plus de la moitié de ses nuits.
Ce n’est qu’en 1960 qu’il révéle à son ancien maître, Gabriel Moreau, ses travaux, auxquels il doit encore se consacrer sept ans avant d’achever son œuvre, ce qui fait dire à Jean Moreau, fils de Gabriel et son successeur à la direction de l’école d’Anet, qu’il s’agit là d’une:


« …réalisation exceptionnelle et humaine, de culture, d’abnégation et de ténacité. »


Comment se présente l’objet ? Laissons parler Daniel Vachey :


[i]« Il est divisé en quatre parties bien distinctes :
La base de la partie centrale renferme le mouvement principal et le carillon ainsi que le cadran des fêtes mobiles et les moteurs du chant du coq et du bal Breton. La partie ajourée du bas de la porte permet l’écoute du carillon.
La partie supérieure centrale comporte quatre étages. De bas en haut : phases de la lune, tableau animé des marées, Moines et Mort sonnant les ¼ et les heures, le Bal Breton et, sur le dessus, Sainte Anne d’Auray, et au sommet de l’horloge : le coq chantant.
La partie gauche regroupe toutes les indications du calendrier : jour et planète dédiée au jour, le millésime, le mois, l’année commune ou bissextile, le quantième perpétuel, l’indiction romaine, le cycle solaire, le nombre d’or, les épactes, la lettre dominicale et la date de Pâques.
La partie droite rassemble les données astronomiques suivantes : mouvement apparent de la lune, l’Astrolabe indiquant la position de la terre autour du soleil, le lever et le coucher du soleil, l’heure dans tous les pays du monde, la carte stellaire donnant la position de toutes les étoiles visibles dans le cercle de perpétuelle apparition, la déclinaison, l’équation du Temps et le Planétaire.
Elle renferme en outre les mécanismes des équations servant à déterminer le mouvement des marées »
(Extraits du fascicule écrit en 1967 et publié en 1970 par Daniel Vachey.)
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A peine ébauché son chef-d'oeuvre, la guerre vient chambouler la vie de Daniel Vachey et de sa famille. C'est l'occupation et, à partir de 1942, les bombardements des Alliés sur Lorient et sa base sous-marine. Il faut quitter Port-Louis et se réfugier à la campagne, à Pont Augan, au lieu-dit Tréblavet village situé sur les bords du Blavet, à une trentaine de kilomètres du domicile familial. Hélas, chaque jour les enfants doivent pour se rendre à l'école de Kergonan, à quatre kilomètres de là, traverser le pont du chemin de fer sous la menace constante des mitraillettes allemandes.


Pont Augan


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Les parents inquiets les placent alors en pension, au nord du Morbihan, à Guémené sur Scorff, où ils demeureront jusqu'à la fin de la guerre; et elle s'éternise, la guerre! La poche de Lorient ne déposera les armes que le 7 mai 1945, après la chute de Berlin! La famille peut enfin reprendre le chemin du foyer.


Ah! Il est chouette, le foyer! La maison a été épargnée par les bombardements, mais l'occupant en a fait un sorte de dortoir jonché de paille et des écuries où les chevaux accédaient librement par l'entrée principale.


Pour Daniel et Flora, peu importe. Ils se remettent à la tâche et bientôt la vie reprend son rythme habituel: mille occupations le jour, mille occupations la nuit. Et les travaux sur l'horloge astronomique suivent leur petit bonhomme de chemin.


En 1959, grand chambardement et nouveau déménagement: Daniel Vachey quitte Port-Louis, son épouse souhaitant demeurer dans une plus grande ville. C’est à Lorient, dans son petit atelier de la rue du Pont Carré, à deux pas de la porte Colbert, l’entrée d’honneur de l’Amirauté, qu’il va achever son œuve.


Rue du Pont-Carré à Lorient dans les années 1960


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Dans son nouveau local, il accepte de continuer à réparer montres et horloges, ainsi que le raconte Michel Le Falher, membre du Comité Historique de Port-Louis et grand collectionneur de cartes postales :


« …je le retrouvais, petit homme à l’esprit vif, de premier abord méfiant, un peu secret, le regard inquisiteur, la cigarette au coin des lèvres, au milieu de ses réveils et horloges qui remplissaient les étagères. Il était dans son univers et prenait un malin plaisir à les faire sonner toutes en même temps pour bien montrer qu’elles étaient à l’heure, à la seconde.
Il a continué jusqu’à la fin de sa vie de les réparer, les gens venaient de loin pour le voir et, plus le travail était difficile, plus son regard s’allumait, plus son attention s’éveillait. »
(Extrait des Chroniques Port-Lousiennes, N°26, octobre 2005)



Daniel Vachey à son établi. (Photo F. Vachey)


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Mais il n’est pas question d’interrompre ses autres activités ! Il n’est plus Président du Comité des Fêtes de Port-Louis, mais il est membre du Comité d’organisation du « Festival des Cornemuses » qui deviendra bientôt le « Festival Interceltique de Lorient », où il s’occupe, entre autres loisirs, philatélie oblige, de la réalisation des enveloppes « premier jour » dont il dessine les flammes, comme celle-ci dessous, dédiée au Musée de Port-Louis

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Ben oui, quoi? Daniel vachey est aussi membre du club philatéliste de Bretagne, la preuve, il s'amuse à coller des timbres:

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En plus, il collectionne. C'est un collectionneur compulsif. Rien ne lui échappe, des boites d'allumettes aux papiers d'emballage de sucres...
Mais, tous comptes faits, il constate qu'il lui reste toujours du temps libre. Alors, il s'inscrit, dès son arrivée, à l'école des beaux arts de Lorient, dont il devient le doyen d'âge des élèves. C'est vrai qu'il n'a alors que 55 ans...


Daniel Vachey, caricaturé par le peintre Henry Joubioux, école des beaux arts, Lorient.


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Elève aux Beaux Arts, il a un comportement d'élève aux Beaux Arts...comprenez qu'il est et demeure un joyeux drille qui s'intègre à une bande gamins dont il pourrait largement être le père. Leur prof les sunomme "les touristes".


Daniel Vachey, au centre, la cigarette à la main, avec la bande des "touristes" (photo Daniel Faurie, membre actif du gang)

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Pendant ce temps, outre son travail au magasin, son épouse s’est occupée de ses deux enfants, Jean Claude et Monique, puis de la gestion de l’activité de grossiste en pièces détachées.


Comment cela, j’ai oublié de vous en parler ?


Ma foi oui! A Port-Louis déjà, puis à Lorient, les Vachey sont devenus grossistes en pièces de montres et d’horloges, qu’ils font venir de Suisse, du Jura, des Vosges. Ils livrent leurs fournitures dans toute la Bretagne ; et puis tiens, puisqu’il reste un moment de libre, on va aussi vendre du matériel d’horlogerie et les voici dépositaires de la marque « Cobra ».


Daniel Vachey et son fourgon Peugeot D4A spécialement aménagé avec lequel il visite les horlogers bretons.


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Daniel Vachey sur le seuil de sa boutique de gros à Port Louis.


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Comme les journées doivent sembler courtes, à l’un comme à l’autre !
Voici qu'arrive l'année 1971:


Le centième anniversaire de l'ouverture de l'Ecole d'Horlogerie d'Anet.

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Daniel-Marius qui, déjà, participe chaque année au bal de la Saint Eloi donné dans son ancienne école, ne saurait manquer un tel événement!


Repas annuel des anciens de l'école d'Anet. A droite, au premier plan, Gabriel Moreau, à sa droite, Daniel Vachey, face à lui, sa fille Monique et son époux. Au fond, à droite, Flora Vachey. Qui reconnaitra les autres convives autour de la table d'honneur?

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Il fabrique donc un coffre spécial pour transporter sa précieuse horloge, achète une remorque qu'il accroche à sa voiture et, fouette cocher!, direction Dreux, où l'horloge va faire l'admiration d'une foule de visiteurs venus de toute la France et de l'étranger pour contempler l'étrange machine. Le Livre d'Or, ouvert en cette occasion et toujours en possession de sa fille, ne tarit pas d'éloges. Est-il besoin de le dire? Daniel Vachey est aussi Président des Anciens de l'Ecole.

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Mais un jour…


L'un des derniers portraits de Daniel Vachey. (Photo F.Vachey)


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Daniel Vachey décède le 27 avril 1991. Le chétif enfant du sanatorium aura donc vécu 87 ans en se dépensant sans compter. Son épouse, Flora, lui survivra jusqu’au 12 juin 2002.


Leur fils Jean Claude, également horloger et bijoutier, installé rue de Liège à Lorient puis technicien-conseil itinérant, est, quant à lui, décédé le 30 mars 1999.


Les héritiers prennent alors la décision de se séparer, entre autres objets, de l’horloge astronomique qui ne fonctionne plus et occupe beaucoup de place dans l’appartement de l’aïeule. Après l’avoir en vain présentée à la salle Drouot en 2001, un marché est conclu en direct avec le Musée International de la Chaux de Fonds.


La livraison de l’horloge et des documents s’y rapportant est effectuée en juin 2002, dans la caisse spécialement conçue trente ans plus tôt par son père, par Monique Vachey elle-même, qui me disait récemment :


« Je fus bien contente de voir dans quel magnifique endroit le travail de mon père serait conservé. Je revins à Lorient pour en annoncer la bonne nouvelle à ma mère. Hélas, elle était morte entretemps. »

Voici donc notre horloge parvenue en Suisse, complète, mais hors d’usage. Or, ce n’est pas une mince affaire que de ranimer un tel objet.


L'horloge à son arrivée dans l'atelier de restauration du Musée.


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Revenons sur la description qu’en fait Daniel Vachey en 1967 :


Nous savons que l’horloge compte plus de 3200 pièces. Nous connaissons le nombre de ses fonctions. Voici, pour mémoire, le schéma qu’en a dressé son créateur :

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Mais nous ne disposons pas des outils conçus spécialement par l’artisan. Par contre, il nous a fait part de certains de ses calculs. C’est, comment dire…terrifiant ! Voici, extraits directement du manuel imprimé par Daniel Vachey, quelques exemples de ses calculs :

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Il faut savoir que certaines roues du mécanisme font un tour en cent ans, en quatre cents ans, d’autres en deux mille quatre cents ans et même deux mille cinq cents ans ! Quant au Planétaire, sa marge d’erreur sera de 1/10.000.000 de tour en 165 ans !

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extrait du descriptif édité par Daniel Vachey

"Le mouvement principal a trois corps de rouages:
-Temps: sonnerie des 1/4, sonnerie des heures. Un remontage électrique automatique avec réserve de marche de 30 heures assure la continuité du fonctionnement. Un mécanisme spécial permet l'éclairage des automates au moment de leur marche.
Le balancier à gril est compensé pour les variations de température et l'échappement est inversé.
Une roue de 24 heures en prise avec la partie astronomique lui communique la vie et reçoit de cette partie une force d'entretien qui lui évite l'effort afin de ne pas influencer le bon réglage du mouvement principal.
La roue de 24 heures commande en outre le déclenchement du coq à midi et du calendrier à minuit.
Le carillon est lui-même déclenché par l'arrêt du chant du coq. Ce carillon commande le Bal Breton en même temps que la bénédiction de Sainte Anne d'Auray...
...une came entraînée par l'axe du quantième fait un tour en 4 ans et par son profil, permet suivant les mois de 28-29-30 ou 31 jours de passer au 1er du mois suivant. Cette came comporte une surprise qui est actionnée par une roue faisant un tour en 400 ans; le va-et-vient d'une bielle de la came de 4 ans agit en faisant avancer une par une les cent dents de cette roue, cette roue porte 3 goupilles qui agissent sur la surprise tous les cents ans pour remplacer l'année bissextile par une année commune pendant 3 siècles et 1 fois en laissant l'année séculaire bissextile tous les 400 ans..."


Je ne vous accablerai pas de détails sur le fonctionnement du comput écclésiastique, de la lettre dominicale (dont les roues satellites font un tour, l'une en 2400 ans, l'autre en 2500 ans),des épactes et de la date de Pâques.


Juste une anecdote concernant cette date:
Le bruit ayant couru que Pâques deviendrait une fête à date fixe, Daniel Vachey écrit aussitôt au Vatican pour se tenir informé. La Curie daigne lui répondre par courrier que rien n'était décidé. Daniel Vachey n'a donc pas à modifier son horloge.


Voici une image du comput ecclésiastique:

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Vous montrerai-je la carte céleste dont le cadran donne à tous les instants la position des étoiles dans la portion de ciel visible à Port-Louis? A quoi bon, ce n'est pas là le ciel de Paris...mais quand même:

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Et le calendrier? Regarderez-vous le calendrier?

Le mécanisme du calendrier

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Vous submergerai-je avec les marées? Les Méditerranéens s'en moquent. Qu'ils sachent simplement que le niveau de la mer s'élève et s'abaisse 2 fois en très exactement:
24 heures, 50 minutes, 28 secondes et 3287 dix millièmes, ce que ce bon Vachey a strictemment respecté dans son dispositif orné d'un automate qui voit passer, sur des vagues animées, un bateau devant la citadelle de Port-Louis (vous savez, celle de Vauban...) tandis qu'un ange retourne son sablier toutes les heures.

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Tiens, regardons-les, les automates!


"-Les phases de la lune:
Un globe lunaire peint demi-blanc, demi-bleu, logé dans un évidement circulaire de la voûte étoilée laisse voir les quartiers de la lune au dessus d'un paysage découpé de Port-Louis...

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-Les quatres moines et la Mort:
Chaque quart d'heure, les 4 moines tirent sur une corde que chacun d'eux tient à la main donnant ainsi l'impression de sonner les cloches d'un monastère. La Mort, au fond du tableau et au milieu, tenant une faux de la main gauche, scande, avec un tibia qu'elle tient dans la main droite, les coups de la sonnerie des heures...

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-Sainte Anne d'Auray:
Au-dessus du Bal Breton, se trouve Sainte Anne d'Auray qui, pendant le bal, lève sa main droite en signe d'indulgence et de protection de la Bretagne.

-Le Bal Breton:
Chaque jour à midi, après que le coq ait chanté 3 fois, se déclenche une sorte de carrousel constitué par un défilé de personnages habillés de divers costumes bretons qui passe devant la scène en tournant. Le dernier personnage salue en levant son chapeau à guides de la main droite.
Les costumes sont ceux de Lorient, Pont-Aven, Pont-Labbé, Plougastel-Daoulas et Pontivy.

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Au milieu de ce plateau, 2 musiciens montés sur une estrade de tréteaux semblent jouer du biniou et de la bombarde avec leurs mains et leurs bras, tout en battant la mesure de leurs sabots.
Pendant tout ce temps, le carillon joue un air de gavotte.


-Le coq:
Il se déclenche à midi, après que le dernier coup de l'heure ait tinté et chante 3 fois en battant 3 fois des ailes, levant la queue, ouvrant le bec et levant le cou et la tête...

Le coq, le pavillon et le soufflet imitant son chant.

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-Le carillon:
Il est construit à la base de l'horloge sur le socle de la pendule derrière le balancier et le jeu de cloches.

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-L'Angelus:
A 6 heures, midi et 19 heures, un rouage est déclenché qui met en mouvement une grande roue avec des goupilles qui, par l'intermédiaire de leviers dont l'un est plus long que l'autre, permet d'obtenir cet effet de "second coup" de retour de battant de la cloche.
Certaines irrégularités de plantage des goupilles permettent d'obtenir l'effet des "coups perdus".
Les sons sont obtenus par des doubles marteaux sur des gongs accordés sur les cloches d'une église de Lorient afin d'avoir un maximum de vrai..."



Le problème est que tout cela ne fonctionne plus et qu’il va falloir trouver le temps, les moyens financiers et le spécialiste de haute volée qui acceptera de s’atteler à la tâche.
Quatre ans!
Quatre ans seront nécessaires pour parvenir à réaliser une opération de mécénat et réunir les fonds permettant de s’attaquer au problème. Grâce au dynamisme de Ludwig Hoechslin, l'exceptionnel conservateur du musée et avec l'aide de Paul Gerber, célèbre horloger zurichois, une montre-bracelet en série limitée est conçue pour financer les travaux. Il sera versé 700 francs suisses au Musée pour chaque montre vendue.


Ludwig Hoechslin photographié devant l'horloge de Daniel Vachey

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Paul Gerber qui réalisa sur les plans de Ludwig Hoechslin la montre destinée à financer la restauration de l'horloge

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et ça va marcher! Et c'est à suivre dans le trosième épisode des aventures de l'horloge de Daniel Vachey...

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Je tiens beaucoup à ma montre, c'est mon Grand Père qui me l'a vendue sur son lit de mort (W. Allen)


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