Une histoire française: AURICOSTE. Chapitre 2 (Articles)

posté par capitaine56 , Toujours près de la mer, 12/02/15, 20:48
(Modifié par capitaine56 le 12/02/15, 22:26)

CHAPITRE 2


Joseph Auricoste, sera donc l'objet du second volet de l'histoire de la marque, que je vais narrer avec l'aimable permission de mes lecteurs favoris (VOUS!)

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( La montre que porte Super Dupont est-elle une Auricoste?)


Auricoste. Enfin un nom facile à situer ! Un nom qui sent la Corrèze ou le Lot, enfin, en gros, cette région-là ; ça ne va pas être bien compliqué de trouver d'où il sort. Mon œil ! Si vous me passez l'expression... Pas de Joseph Auricoste horloger dans le coin. Non mais allô quoi ? On dit que le monsieur est sorti major de l'école d'horlogerie de Paris et on ne sait ni quand ni où il est né ? Non. Google s'en moque. Wikipédia est muet. Mais enfin ! Il est célèbre, mon Joseph ! Célèbre et reconnu. Reconnu...Eurêka ! La Légion d'Honneur ! Il a forcément la Légion d'Honneur, lui dont nous savons, grâce à la presse horlogère et aux différents lieux de discussions où l'on parle de montres, qu'il en a fourni, des montres et des pendules et des chronomètres aux plus hautes autorités civiles et militaires de la République. Bingo: il l'a.

Ce sont les archives de la Chancellerie qui nous apprennent que Joseph Marie Louis a vu le jour le 15 janvier 1880 à Mende, préfecture de la Lozère comme chacun sait, ce qui ne nous fait pas la jambe plus belle en matière d'horlogerie. Notons au passage que la bonne ville de Mende ne lui est guère reconnaissante, car il n’apparaît pas dans la liste des célébrités locales.

On y trouve pourtant d'étranges personnages dans cette liste ! Voyez vous-même : Nicolas Roch, « grand exécuteur »  de Paris (1813/1879), le célèbre juge Jean Pierre (1955/2005), Paul Doumer qui y fut professeur et aurait mieux fait de le rester, ce qui lui aurait évité de devenir Président de la République et d'aller se faire bêtement assassiner à Marseille en 1932, quelques évêques, une poignée de généraux, les hommes politiques habituels, mais point de Joseph Auricoste. Sic transit gloria mundi...

Mende

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En attendant que justice lui soit rendue par sa ville natale, profitons de la découverte de la date de naissance de notre héros pour comparer celle à laquelle il est censé avoir repris la maison Thomas : 1889 ! Problème : Joseph Auricoste a neuf ans ! Soit il est le Mozart de l'horlogerie, soit il y a une grosse boulette quelque part. Une piste mène vers l'école d'horlogerie de Paris. On découvre qu'en cette année 1889 le Président du Conseil et ministre du commerce, de l'industrie et des colonies, Pierre Tirard, se déplace au 30 de la rue Manin et y tient un discours, suivi, bien sûr, d'un petit banquet.

Pierre Tirard

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Qui trouve-t-on parmi les accompagnateurs de ce brave Tirard ? Noël Auricoste. Tiens, un Auricoste ? Quelle merveilleuse coïncidence ! D'où sort-il, celui-là ?

« Viens, mon garçon, je vais te présenter à Monsieur le Président du Conseil. »

« Monsieur, le Président du Conseil, permettez-moi de vous présenter mon fils Joseph, qui commence ses études d'horloger dans cette belle école.
-Votre fils, mon cher Auricoste ? Vous m'en voyez ravi. Je ne doute pas qu'il saura faire honneur à son père. »


Si ce dialogue est pure invention, il est exact que Noël Auricoste, né à Ussel (Corrèze) le 25 décembre 1844 (ce qui lui vaut illico son prénom), ancien professeur de Sciences naturelles à Mende, où il est le collègue de Paul Doumer, est devenu chef de division à la préfecture de la Lozère. Il est tout aussi exact qu'il est le Papa de Joseph Auricoste.

Auricoste père sera de 1893 à 1898 député de ce département. Bien qu'il soit battu sévèrement aux élections de mai 98, son ami Paul Doumer le nomme chef de l'office des Colonies.

Colonies ? Qui dit Colonies dit Marine. Qui dit Marine dit chronomètre. Qui dit chronomètre dit Auricoste. La boucle est bouclée. Le bon Papa Noël disparaît en 1909, mais entre-temps, Auricoste fils aura fait son chemin.


Pour les incrédules, la déclaration de naissance de Joseph Auricoste

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Si j'osais (j'ose!) je dirais : « la Lozère mène à tout, à condition d'en sortir ».

L'école d'horlogerie de Paris, rue Manin.
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Devenue aujourd'hui une école primaire du XIXe arrondissement


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Pendant ce temps, Émile Thomas figure en bonne place au comité des rédacteurs de la « Revue Chronométrique de France. »

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La maison Thomas est également devenue « fournisseur breveté» de l'Union des Yachts Français, connue ensuite sous l'appellation « Yacht Club de France », haut lieu du gratin de la plaisance s'il en est.


Pavillon de l'Union des Yachts Français

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Le Contre-Amiral Fleuriais quitte brutalement ce monde en 1895, victime d'une congestion cérébrale au moment où il arrive à Brest pour prendre le commandement de l'escadre de l'Atlantique, mais l'impulsion qu'il a donnée se fait encore sentir à l' exposition universelle d'Anvers en 1897. En outre, la rue de la Boétie n'est pas située dans un quartier trop mal famé, les chronomètres de marine du Sieur Thomas n'ont pas trop mauvaise réputation et il fabrique et vend de jolies montres. ..
Quid de Joseph Auricoste, pendant ce temps ? Il travaille et il travaille bien. Il est pratiquement certain qu'il participe avec Émile Thomas au développement de la maison. Dès cette période, certaines pièces sont signées « Tomas et Auricoste ». En 1900 à l'exposition universelle de Paris, le fondateur, Émile Thomas, obtient une médaille d'or en présentant, entre autres, une montre-bracelet. C'est la consécration !

Extrait de la liste des participants à l'exposition universelle de Paris en 1900


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En juillet de la même année, Joseph Auricoste sort de l'école d'horlogerie de la rue Manin. Il est reçu major de la promotion et perçoit une bourse de 870 francs

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Et une récompense pour la fabrication d'une pièce compliquée :

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Ainsi qu'une médaille d'argent :

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En 1900, il est conscrit militaire sous le numéro 3956, mais le tirage au sort lui évite un long service. C'est alors que d'apprenti et d'élève il va devenir patron.

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En 1901, la maison « Thomas-Auricoste » devient « Auricoste ». Émile Thomas a de longtemps choisi son successeur avant même sa sortie de l'école d'horlogerie, car il le connaît bien : n'est-il pas membre du Conseil de Direction de l'école ? Il va partir vers une retraite bien méritée en laissant les rênes à un conducteur de qualité. Après avoir reçu la médaille de Chevalier des Palmes Académiques, il est nommé en 1909 au Conseil Supérieur de l'Enseignement technique et à ce titre est fait Chevalier de la Légion d'Honneur.

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Il restera membre de la Revue Chronométrique de France jusqu'en 1913, date supposée de sa disparition.

Pendant ce temps, son ancien élève ne perd pas son temps. A peine sorti de l'école, il devient conférencier à l'Académie des sciences et à 23 ans, il est fait Officier d' Académies !

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Il fonce : En 1902, il figure à Hanoï, dans le cadre de l'exposition voulue par Paul Doumer, En 1904, il expose à Saint Louis (USA), en 1906 à Liège et 1910 à Bruxelles. Il est devenu fournisseur de l’Élysée, qui offre aux chefs d'états de passage des pendules et des montres Auricoste. Il équipe le Sénat, la Banque de France :

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En 1910, il succède à son maître Émile Thomas au Comité de rédaction de la Revue Chronométrique, où il demeurera jusqu'en décembre 1912.

Quand la guerre se prépare, la maison Auricoste n'est pas oubliée et va fournir des montres et des chronomètres au Ministère de la Guerre :

(Images F.A.M.)


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qui les affectera aux différentes Armes dont la Marine,

Marine Nationale, 1910 ( Musée Auricoste)

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ainsi qu'à l'Aviation naissante ; celle-ci n'est pas encore une « « Arme » à part entière mais va le devenir lors de la Grande Guerre .

Montre d'aéronef 1912 (Musée Auricoste)

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et l'Artillerie :
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Principe de fonctionnement : connaissant la vitesse initiale théorique du projectile, la fonction compteur-chronographe permet de connaître le temps écoulé entre le « coup » de départ et le « coup » d'arrivée et d'en déduire la distance de l'impact.

Bien que Joseph Auricoste soit mobilisé de 1914 à 1918, l'entreprise tourne à plein régime. Au total, ce sont plus de trente mille chronographes qui auront été livrés au Ministère de la guerre.

A la fin des hostilités, on a tôt fait de se reconvertir. Les élégantes des années folles aiment les bijoux. On en vend ! Les montres-bracelets pour dames commencent à être courues. On va leur en fournir ! Et comme on ne peut répondre à la demande, on va même distribuer d'autres marques, sans oublier, bien sûr, de les sous-titrer « Auricoste », du nom de celui qui est seul propriétaire :

Joseph Auricoste

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Vitrine du magasin, 10 rue de la Boétie

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Le 10 de la rue de la Boétie aujourd'hui, presqu'inchangé.

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La marque ô combien française, va vendre ceci :
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Auricoste « Swiss made », si je lis bien...

Ainsi que des sous-marques, euh...pardon, des marques-sœurs : Aural et Just.

Signalons au passage que ce dernier nom est aujourd'hui employé par une marque de grandes surfaces embarquant des calibres à quartz Myota et n'ayant aucun lien avec Auricoste

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:mdr:

Revenons vite dans le vif du sujet.

Chronographe « AURAL » mono-poussoir, roue à colonne  et sa publicité:


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Chronographe avec échelle tachymètrique JUST (en or) :

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Sur les « réclames », Joseph Auricoste n'hésite pas à se mettre personnellement en scène :
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Ou à employer des slogans et des images assez « surréalistes »
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« LE » spécialiste de la montre gousset, notre révéré PIANISTE, s'est livré à un déshabillage complet d'une JUST qu'il nous a invité à admirer jusqu'aux plus intimes détails de son anatomie. Je livre son œuvre à vos yeux que j'espère ébahis :

De face
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De dos
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Dedans
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Dépouillée
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(Aparté : Pianiste serait-il un « dépeceur » ? J'en frémis...)

Nous avons lu plus haut que Joseph Auricoste n'oubliait pas, beaux quartiers obligent, la clientèle féminine. Il donne aussi dans le bijou et remet au goût du jour des parures anciennes, ce qui lui vaut un grand prestige auprès de ces dames.
En voici la preuve :
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Mais il ne fait pas que cela : horloges, pendules, chronomètres, goussets, montres-bracelets :

Pendule de cheminée :

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Horloge 1930:
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Réveil dit « d'officier » :
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Montre de voiture :
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Gousset à complications :
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Gousset à grande complication : chronographe à répétition minute, calendrier perpétuel et phases de lune (Vente Christies 06/2004)
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Chronographe en or rose, vers 1940 ( vente Arcurial 05/2008)
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Chronographe-bracelet mono-poussoir (document « Diamant » sur Chronomania)
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Chronographe-bracelet bi-compax (Musée Auricoste)
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Sacrifice à la mode des années 1930, les anses articulées :
Chronographe-bracelet à anses articulées  (doc. eBay)
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et boîtier art-déco :
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On propose du haut de gamme sportif ...
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Et du gadget sport chic :
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Montre en forme de balle de golf


...ainsi que des montres plus simples, mais luxueuses :

Montre de col en or, cadran soleil, avec sa châtelaine

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Montre-bracelet pour homme vers 1930( musée Auricoste)

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Accessoirement,

Baromètre (vente eBay)

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Le moins que l'on puisse dire, c'est que Joseph ne reste pas les deux pieds dans le même sabot ! Outre sa manufacture de montres, de pendules, de chronographes, outre son commerce et son atelier de bijouterie, il conquiert d'autres parts de marché : avant lui, Émile Thomas avait repris l'entreprise d'Antoine Redier. Joseph Auricoste absorbe une marque prestigieuse : Charles Oudin, la manufacture d'horlogerie et de bijouterie fondée par un élève de Bréguet lui-même, qui se trouvait au 52 du Palais Royal jusqu'à la disparition de son fondateur en 1870. En 1920 la première collection signée Charles Oudin sous la direction de Joseph Auricoste va voit le jour. Voici l'en tête qui figure alors sur les documents de la manufacture :

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Malgré le brutal ralentissement dû à la guerre, l'activité de Joseph va perdurer jusque dans les années cinquante, comme le prouve la pendulette de bureau dessinée par le décorateur Paul Dupré-Lafon, pendulette qui inclut, outre la montre, un thermomètre, un baromètre, un calendrier date-jour-mois et une boussole, au cas où le propriétaire viendrait à s'égarer dans son bureau.

Pendulette de bureau Auricoste par Paul Dupré-Lafon

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Auricoste est encore le distributeur d'autres marques :

Pendule électrique Brillié, vendue sous la marque Auricoste

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Quant à l’État, toujours le premier client, il n'a pas été négligé, loin s'en faut ! On lui a sorti quelques gâteries propres à alimenter les caisses de la société qui ne s'est jamais aussi bien portée. En premier, l'incontournable Marine Nationale :
Chronomètres dits « montres de pont » Marine Nationale (Musée Auricoste)

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Coffret de chronomètres triple horaire, signé Auricoste, successeur d' E.Thomas

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Chronomètre de marine J. Auricoste et fils  (Musée Auricoste)
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Compteur 60 minutes avec chronographe (Vente Tajan 2007)
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Joseph Auricoste livre également l'aviation :

Montre d'aviateur mono-poussoir 1930 (Musée Auricoste)[center]
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Ainsi que l'Armée de terre :

Chronomètre de poche militaire vers 1940 (Vente Richelieu Drouot 2010)

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Pour les biffins qui viendraient à s'égarer en cherchant la ligne Siegfried, un outil bien pratique :
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(Pour ceux qui n'auraient pas compris, c'est écrit dessus)

Étonnez-vous que Joseph ait reçu, dès le 13 juillet 1917 les insignes de Chevalier de la Légion d'Honneur à titre militaire, puis d'Officier en 1926 !

A l'issue de la Seconde Guerre, Joseph va connaître une nouvelle période d'honneurs et de prospérité. En 1947, les 28 et 29 juin, se tient à Morteau et Villiers le Lac, hauts lieux de l'horlogerie, l'assemblée générale de printemps de la Société Chronométrique de France. A cette occasion, entre deux vins d'honneur, quelques excursions, moult banquets, maints déjeuners en commun et autres festivités, on inaugure le bâtiment du nouvel atelier-école de Morteau et deux décisions sont prises. La première, lors du renouvellement de quatre membres du conseil d'administration, est d'élire Joseph Auricoste.

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La seconde est d'orienter les recherches de la Société dans deux directions : la première, le perfectionnement des mouvements à basse fréquence, la seconde qui va conditionner l'avenir, les recherches sur les hautes fréquences à quartz. Rien que ça...

Voici qu'un gros marché s'ouvre : il faut reconstruire la Marine de guerre. Il faut développer l'Aéronavale qui a montré sa toute-puissance lors du conflit dans le Pacifique. Joseph s'est adjoint la collaboration de son fils Pierre, qui reprendra le flambeau. En 1955, en reconnaissance de ses distingués services, la Marine Nationale lui remet la médaille de Chevalier du Mérite Maritime.

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Après une longue et belle carrière, Joseph Auricoste quitte ce monde le 28 juin 1960, jour anniversaire de son élection au conseil d'administration de la Société Chronométrique de France.

Voici venir le temps de Pierre Auricoste.


À SUIVRE!

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Je tiens beaucoup à ma montre, c'est mon Grand Père qui me l'a vendue sur son lit de mort (W. Allen)


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