Une histoire française: AURICOSTE (Articles)

posté par capitaine56 , Toujours près de la mer, 12/02/15, 19:28
(Modifié par capitaine56 le 12/02/15, 22:10)

INTRODUCTION



A franchement parler, la rue Fondary n'est pas la plus folichonne de Paris, ni du XVème arrondissement, ni du quartier de Grenelle. En dehors du fait qu'elle porte le nom du fondateur de l'ancien village à l'origine de ce quartier et qu'on y trouvait, il y a un demi-siècle, le siège de la célèbre revue « Bateaux », rien ne la distingue de ses voisines. En fouillant beaucoup, on déniche la sordide histoire d'un triste fait divers qui vit, dans les années folles, la mort de deux femmes de la main d'un « indigène » ce qui ne manqua pas d'exciter la presse et d'alerter la Préfecture de Paris. Que raconter d'autre ? Rien. C'est pourtant dans cette rue que je me trouve, un midi ensoleillé de novembre à la recherche d'un marchand de piano.

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« Que vient faire un marchand de piano dans cette histoire ? » se demanderont les personnes sensées et elles auront bien raison de se poser la question, les personnes sensées, d'autant que même en cherchant bien, je ne vois nulle trace d'un membre de cette respectable corporation dans cette rue. Un facteur et vendeur de harpes, certes, mais pas la queue d'un piano. Pourtant, je touche au but, mais de recherche las, je finis par pianoter le clavier de mon portable pour appeler la personne que je souhaite rencontrer. Celle-ci me fait savoir qu'il me faut retrouver le facteur de harpes, que ses bureaux à lui se trouvent au premier étage et qu'il descend de ce pas m'ouvrir la porte. C'est ainsi que je fais la connaissance de Claude Tordjmann, portier improvisé du numéro 35 de la rue Fondary.

Un hall de taille moyenne, un petit ascenseur à droite et nous voici, l'un guidant l'autre, dans un modeste salon d'accueil, sans chichis et sans tralalas, meublé de quelques affiches et d'une vitrine.

Je suis chez Auricoste.

A des années lumières des ors et des lambris de la Place Vendôme ! Pour l'essentiel, un bureau pour une secrétaire, momentanément absente, le bureau du Président-portier, Claude Tordjmann, celui de son fils Laurent et au fond, une pièce un peu plus grande où exerce un jeune horloger, penché sur une montre.

Venu quérir un bracelet acier destiné à la « Spyrotechnique» des années 1980 quasiment neuve de stock que je viens d'acheter, je me retrouve bientôt propriétaire du bracelet caoutchouc et de la boîte d'époque qui complètent mon acquisition, le tout pour un prix si raisonnable que je n'ose vous le donner. Que les personnes intéressées contactent la Société, elles ne seront pas déçues. Manque le bracelet en cuir qui, hélas, est en rupture définitive de stock. Tandis que je rédige mon chèque, la conversation s'engage. Pas besoin de mettre la pression sur mon interlocuteur : il est clair que « sa » marque est l'objet de sa passion, qu'il sera intarissable sur le sujet et que ceux qui aiment « ses » produits font aussitôt partie du cercle de ses amis. De cet entretien, de la documentation que j'ai reçue par la suite, accompagnée d'un superbe NATO offert par le Président lui-même et de quelques modestes recherches personnelles, voici extraite la substantifique moelle que je livre aujourd'hui à vos appétits affamés de savoir horloger.

Comme cela risque fort d'être long, très long, j'informe mon aimable clientèle que l'histoire fera l'objet de plusieurs chapitres que j'ai trouvé judicieux de baptiser 1, 2, 3 et 4.


CHAPITRE 1

Remontons le passé jusqu'aux premiers temps du Second Empire : 1854, c'est l'année que choisit un certain Émile Thomas pour inaugurer sa boutique rue d’Angoulême, devenue aujourd'hui rue de La Boétie, dans le 8e arrondissement. D'où vient-il ? Quand est-il né ? Où a-t-il été formé ? Depuis quand exerce-t-il ? Difficile de répondre à ces questions et pourtant...

On découvre au détour d'un article édité peu après la Grande Guerre, qu'il exerçait auparavant dans le quartier du Palais Royal. Constatant un certain déclin de l'horlogerie dans ce secteur, il choisit d'ouvrir boutique, dixit l'auteur «...dans un quartier aristocratique où le commerce de luxe et d'art n'avait pas encore pénétré mais dont il prévoyait le merveilleux développement... » On sait également qu'il est horloger de la Marine. Ce n'est pas rien, horloger de la Marine, d'autant qu'il ajoute à ce titre «... et de l'Observatoire », mais du diable si je trouve trace du personnage aux archives de la Marine à Vincennes.

L'intérieur du magasin, 10 de la rue de la Boétie vers 1901.


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Force m'est de chercher ailleurs, mais comment retrouver un Émile Thomas dans un pays qui compte la bagatelle de 108 141 familles de ce nom ? A-t-on idée de s'appeler Martin, Bernard ou Thomas (le podium des plus nombreux) quand on peut s'appeler comme le type que je vois dans ma glace tous les matins, dont le patronyme figure en 216 094ème position, ce qui facilite grandement les investigations ?

Wikipédia m'oriente obstinément vers un sculpteur ou des hommes politiques. Je m'égare un temps sur la piste de l'Émile Thomas, directeur des Ateliers Nationaux de triste mémoire, centralien et ingénieur chimiste, mais c'est un horloger que je cherche ! Aussi facile à dénicher qu'une aiguille de montre dans une boîte de joints. Enfin, l'enquête me mène à un article de Constantin Parvulesco (la revue des montres, N° 188 du mois d'août 2013). On y parle d' un Émile Thomas, qui serait bien ingénieur chimiste, comme le directeur des Ateliers Nationaux, et qui travaille sur les alliages insensibles aux variations de températures, ce qui est bien utile dans un mécanisme de montre. Nous y sommes !

Notre Émile Thomas est à peu près situé, mais il n'est encore qu'un petit horloger sans renom. Petit à petit, toujours selon le journaliste des années vingt cité plus haut : « les vieilles familles portent leurs pendules à réparer chez Thomas. Les grands-mères choisissent les cadeaux de première communion de leurs petits-enfants chez cet horloger habile et consciencieux... ».

Émile Thomas n'est, en fait, pas tombé de la dernière pluie et a des relations « haut de gamme » dans le milieu de l'horlogerie. Parmi ces relations, un maître : Antoine Redier.

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Vous ne connaissez pas Antoine Redier ? Pourtant, nombres d'entre vous le maudissent chaque matin : c'est lui l'abominable inventeur du réveil-matin.

Réveil-matin Antoine Redier (restauration « Agemo »visible sur le site Place de l'Ours)


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Mode d'emploi du réveil-matin Redier


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Antoine Redier est né a Perpignan en 1817. Diplômé à l'école d'horlogerie de Paris en 1838, il a déposé en 1847 le brevet de son invention diabolique, en 1849 il présente la première montre-réveil à l'exposition universelle de Londres, en 1852 il perfectionne les mouvements de pendules à sonnerie et à calendrier, etc...etc...

Pendule Redier avec affichage jour, date, mois( marché britannique)


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Pendule Redier jours, date, mois, (marché italien)


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En 1864 il fait horlogerie commune avec Thomas. Il décède le 30 décembre 1892, couvert de gloire et d'honneurs, après avoir cédé son entreprise à Émile Thomas en 1878. Plus tard, la chance veut qu'un client, officier de Marine, s’intéresse aux recherches de ce dernier et devienne son ami : le futur Contre-Amiral Fleuriais, membre du Bureau des longitudes auprès de l'Observatoire de Paris. Fleuriais le pousse à présenter ses œuvres aux services de la Marine et au Bureau de l'Observatoire. C'est ainsi qu’Émile Thomas peut un beau jour inscrire sur sa carte de visite la mention enviée d' « horloger de la Marine et de l'Observatoire. »

Reste à dénicher un chronomètre de marine de notre ingénieur chimiste horloger et un grand pas sera franchi. Ouais...Pas l'ombre d'une photo d'un chronomètre. Quelque part, au coin d'une annonce à deux balles, ceci :

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Puis, au hasard d'une vente à Drouot, une remarquable horloge à heure tournante, proposée sans le nom de son créateur. C'est un vieil article de journal, décrivant cette œuvre et auquel est jointe une photographie qui me permet de l' attribuer à E. Thomas :

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Et enfin !
Mouvement Thomas de Chronomètre de marine


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Également, sur le site bien connu « La Cote des Montres », une photo avec les détails d'un gousset précisant : 
Vente aux enchères Antiquorum N° 101 , 18 octobre 1997, lot N° 240. Estimé entre 2500 et 3000 francs suisses, avec un descriptif alléchant 
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Chronographe mono-poussoir N° 1808 de 1898 par Émile Thomas, Paris, or et argent, cadran émail, remontage par la couronne, mouvement 22 rubis, spiral de Bréguet,réglage micrométrique.


Détail curieux, cette montre est datée de 1898. Or, tous les documents édités à ce jour affirment que c'est en 1889 qu'un certain Auricoste, Joseph de son prénom, a pris les commandes de l'horlogerie Thomas. Bon, on n'est pas à une erreur de date près, pensais-je, jusqu'à ce que j'apprenne que la maison Thomas n'avait changé de nom qu'en 1901, après s'être brièvement appelée : « Thomas-Auricoste ». Des erreurs, il y en d'autres, la preuve, voici Joseph Auricoste devenu JULES !

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Peu importe ! Occupons-nous de ce Joseph Auricoste, ce qui nous fera un chapitre 2.

A SUIVRE!

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Je tiens beaucoup à ma montre, c'est mon Grand Père qui me l'a vendue sur son lit de mort (W. Allen)


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