Vintage et vintage pour tous les goûts (Articles)

posté par capitaine56 , Toujours près de la mer, 02/03/14, 18:51

Il y avait quatre murs de parpaings, un vague coin bureau, un recoin magasin et un parking.

C’était mon premier garage.

Bien entendu, comme d’habitude, cela n’a qu’un très lointain rapport avec les montres, mais je fais comme si. Certains parlent de casquettes (et de montres), d’autres d’aéroplanes (et de montres), un homme fou, en Suisse, intervient à propos de montres (et de motos). Ne connaissant que deux ou trois sujets : les autos, les bateaux (et, vaguement, les montres) permettez que je vous entretienne de quelques automobiles qui, à mes yeux, ne manquent pas d’intérêt (ni de montres).

Au temps hélas lointain de ce premier garage, je fus gravement intoxiqué par une maladie incurable, transmise par un individu louche dont, par pur esprit d’humanité, je tairai le nom. Cette terrible pathologie s’appelle « vintageomanie ». Soyons clair : on ne s’en remet pas. Le diagnostic étant posé, étudions néanmoins quelques formes de ce mal :

-La collectionnite d’objets quotidiens, tels que vieux téléphones, casseroles « design » signées Raymond Loewy, sacs de Paco Rabanne, bottes de Courrège, abat-jours Moche et Grosbois ou autres calembredaines ;

-La manie des engins volants, de préférence Dakota, Super G, Bréguet deux ponts, Jodel biplace, pou du ciel et tous objets s’y rapportant ;

- La maniaco-hystérie des véhicules automobiles à pétrole, essence ou gasoil, voire même électriques ou à vapeur et tout leur environnement ;

-L’horlogéophagie, dont souffre un grand nombre de membres de ce forum: ils bouffent de la montre du petit déjeuner au coucher et même pendant la nuit, pour ceux qui sont imbibés de tritium ou peinturlurés au luminova ;

Les modestes collectionneurs de locomotives anciennes et de paquebots grandeur nature sont, pour une raison que je m’explique mal, sensiblement plus rares ;

Le virus est donc multiforme. Le point commun semble être en liaison avec une période s’étendant des années quarante aux années septante. Conséquence, probablement des nombreuses expériences nucléaires alors effectuées un peu partout.

Pour en revenir au seul cas qui me passionne, le mien, je suis mortellement touché à la fois par le virus de la bagnole et celui de la tocante, ce qui n’est pas peu. L’individu qui me contamina était mécanicien. Jusque-là, rien d’anormal. Mécanicien spécialisé en américaines. C’est déjà moins fréquent. Ultraspécialisé en fifties et sixties, c’est rare ! Dès notre rencontre, il me montra… permettez une pose:

Attention: Les âmes sensibles et les enfants devraient éviter de regarder l’image qui va apparaître.


Voici la chose :


[image]
C’est violent.


Ex abrupto, il me proposa :
« T’en veux ? »

Ne sachant que répondre, j’acquiesçai mollement. Foutu j’étais. Cela dit, quelques mois plus tard, nous étions passés de l’image ci-dessus à celle-ci :

[image]
Buick Riviera coupé 1963.


C’est mieux. A l’intérieur, ça donnait ça :

[image]

Vous avez vu comme la montre est belle ?
M’enfin, le p’tit machin rond, entre les deux gros yeux. Vous ne voyez pas ?

Maintenant, j’attends la question :
« Comment va-t-on de la photographie 1 à la photographie 2 ? »
C’est un peu long, alors, comme d’habitude, je vous recommande de vous poser dans un fauteuil confortable et de garder à portée de main un flacon de votre réconfortant favori. Pour ma part, ce sera une tisane écossaise, merci.
Vous êtes parés ? Procédons :

Dans un premier temps, découvrir dans un garage où il encombre tout le monde, un engin de ce type. Plus vintage et design délirant, tu meurs. L’auteur ? Un certain Harley Earl, inspiré depuis le début des années cinquante par les avions de chasse à réaction.


[image]
L’objet du délit (-re), tel qu’il fut découvert


C’est, tout le monde l’a reconnue, une Cadillac. Très précisément, une Fleetwood Sedan HT 4 portes série 60S de 1959.

Y a tout : clim, direction assistée, boîte auto à quatre rapports, freins assistés, verrouillage centralisé, vitres teintées électriques (y compris les petits déflecteurs avants), coffre à fermeture électrique, sièges électriques en cuir et tissu décoré d’étoiles argentées, moquette en laine plus tapis de caoutchouc blanc, radio programmable avec antenne électrique, allumage et passage en code automatique des phares (« Fish-Eyes »), projecteur de parfum dans la boîte à gants et, bien entendu, une montre électrique de marque Jaeger. Le tourne-disque quarante-cinq tours ne sortira que l’année suivante sur l’Eldorado. Vous mettez sous le capot un petit V8 de 8.2 litres annonçant 300 chevaux SAE et roule ma poule. Pour compléter le tout, une suspension pneumatique, tiens, avec un compresseur bicylindre, histoire que la voiture monte et descende comme une DS, dont on n’a pas le droit de pomper la suspension hydropneumatique. L’engin est sensé taper le 200 à l’heure, mais gare à qui s’y risque : les freins, heu, comment dire ? Ben, y freinent lèger-lèger. La direction, ha, ha ! Aaah, Mon Dieu ! Où vais-je ? Qu’importe : qui aurait l’idée de rouler à 200 en Cad ?

Reprenons.

Après avoir déniché à Mandelieu l’oiseau rare, dont les vitres de droite ont été brisées pour bien faire comprendre au propriétaire que sa caisse dérange tout le monde dans le parking de l’immeuble et que ça va bien quoi, il faut le ramener en Bretagne. No problem : la bête y consent avec le meilleur esprit de monde. Contrôle des niveaux, un coup de booster, c’est parti ! Après tout, ça ne fait que quinze ans qu’elle n’a pas roulé. Une petite halte de temps en temps :


[image]
Qui a dit qu’une gendarmerie n’était pas accueillante ?


Et zou : au chantier. Le moment des photos de l’opération est venu.
Dans un premier temps, déshabillage complet :

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A poil, j’ai dit !



Mais vous savez que c’est sain, ça, si, si, ça c’est super. Pas un brin de rouille ! Du bon acier made in Détroit. Au fait : Vous savez qui a fondé Détroit ? Un français, Monsieur de Cadillac, tout simplement. Et on ne dit pas « Cadi –Yac », mais « Cadi-Lac ». Merci de s’en souvenir;


On vire le moteur :

[image]

On lui ouvre le ventre. Comme neuf ! Il faut dire que l’engin n’a que quatre-vingt mille kilomètres.

[image]
[i] Le semeur de virus au travail.[/i]


On démonte les petits organes fragiles (là, le système de verrouillage électrique du coffre)


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« Les mains de femmes,
Je le proclame,
Sont des bijoux,
Dont je suis fou. »


On dépiaute tout. Tout ? Tout !

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Puis on ponce, en respectant, bien sûr, les normes de sécurité, port du masque obligatoire. Bon, c’est raté, mais l’ordre a été donné :
Chacun sa méthode :
debout,


[image]
« Les mains de femme,
Je le proclame,
Sont des bijoux… »


Assis,

[image]

Seul le résultat compte :

[image]

[image]



On refait les « entrées » :

[image]
« Les mains de femmes,
Je le proclame… »



Puis on enduit et on re-ponce:

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Deux fois !

On présente les éléments :

[image]

Ensuite on apprête :

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Deux fois aussi.

(Il manque le démontage/remontage complet de la calandre. Dommage : elle est composée, sans compter les pare-chocs, accrochez-vous à votre fauteuil, de cent soixante-dix éléments. Vous avez bien lu : 170 ! Pas intérêt à en perdre un…). Heureusement, à l’arrière, il n’y en a qu’une grosse centaine. C’est plus facile.

L’auto part en peinture, revient et on remonte le tout :


[image]
« Les mains de femmes… »


Et voilà, servez chaud.

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Roulez, jeunesse :

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Et vieille dame aussi. La suspension pneumatique s’incline bassement devant vous :

[image]


ET LA MONTRE DANS TOUT CA ?
La voilà !

[image]


Post-scriptum :
Je remercie encore aujourd’hui le chef d’atelier, les mécaniciens, carrossiers, peintres, professionnels, intervenants bénévoles (« Les mains de femmes… ») d’avoir accepté de participer à cette restauration. A ce jour, trente-cinq ans plus tard, le véhicule est toujours entre les mains d’un heureux collectionneur.

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Je tiens beaucoup à ma montre, c'est mon Grand Père qui me l'a vendue sur son lit de mort (W. Allen)


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