Livraison du dimanche soir: histoire de moine (Articles)

posté par capitaine56 , Toujours près de la mer, 05/01/14, 19:14

C’est l’histoire d’un moine.

Au cours de l’année de la Chèvre d’Eau, lors du cycle 56 du calendrier chinois (l’an 683 du calendrier grégorien), naquit un certain Zhang Sui, fils d ‘un obscur magistrat de province vite disparu, laissant sa famille sans fortune. Le pauvre Zhang Sui connut donc une enfance misérable et je sens que je vais faire pleurer dans les chaumières, or ce n’est pas mon but.

Positivons : le pauvre Zhang Sui, tout pauvre qu’il était, se trouvait nanti d’une vive intelligence, ce qui présente quand même certains avantages. Le pauvre Zhang Sui donc, tout en étant parfaitement conscient de son état misérable, s’intéressa très jeune à la philosophie, ce qui nourrit l’esprit à défaut de l’estomac, à la religion, ce qui aide beaucoup lorsque l’on a le ventre creux, et aux sciences, ce qui permet de préparer l’avenir si l’on survit à la famine. Particulièrement doué pour les mathématiques et l’astronomie, il quitta sa province à l’âge de vingt ans et se rendit à Chang’an, (ville bien connue aujourd’hui sous le nom de Xi’an) alors capitale de la dynastie Tang, à la recherche d’un maître pour approfondir ses connaissances. Il y rencontra un prêtre taoïste, Ling Chong, qui comprit que le jeune homme jouissait de talents exceptionnels de mathématicien et en fit son élève, élève qui dépassa le maître en moins de temps qu’il en faut à un mendiant chinois affamé pour avaler un bol de potage au vermicelle. Voici notre élève passé au rang d’érudit en deux coups de baguettes à riz.

Peu après, une certaine Wu Zetian s’appropria le trône impérial à la suite de manœuvres couvertes par le secret diplomatique. Il ne nous appartient pas de juger les méthodes politiques chinoises, quand bien même elles auraient inspiré par la suite, disons … les Borgia, par exemple. De toute façon il y a prescription. Mais je vous recommande vivement de lire sa biographie. C’est… saignant.

[image] Wu Zetian

Cette charmante impératrice traînait dans son sillage une parentèle du même tonneau qu’elle, où figurait un neveu qui se piquait de sciences. Ou plutôt qui souhaitait se constituer une cour de savants et de docteurs ès-tout, afin de se parer des plumes du paon, parure logique dans une cour chinoise. Bien entendu, le bon Zhang Sui fut l’objet de ses appels répétés et de plus en plus pressants. Drapé dans sa dignité, il sut résister à l’appât de l’or et des honneurs. Drôle d’idée, certes, mais bon. Craignant sans doute un brutal retour de bâton, au sens propre comme au figuré, il prit trois décisions : quitter la capitale, changer de nom et se faire moine. L’année du Serpent de Bois ((705), il courut s’enfermer dans le temple Chongyang, dans les montagnes Song qui, comme chacun sait, se trouvent dans la province du Henan. Enfin tranquille ! Là, il suivit l’instruction religieuse du maître Pu Ji, sous son nom d’emprunt : Yi Xing. On oublia le nom de Zhang Sui et tout fut pour le mieux dans le meilleur des monastères. Sauf que notre Yi Xing avait la bougeotte.

[image] Le temple taoïste Chongyang aujourd’hui.

[image] Yi Xing


Tout en continuant à étudier le bouddhisme, les maths et l’astronomie, il se mit à voyager au sein de l’Empire du Milieu pour parfaire ses connaissances. Finie, la discrétion d’un monastère perdu dans les montagnes. Résultat, l’Empereur Xuanzong, qui avait succédé en 705 à la douce Wu Zetian par des moyens sur lesquels nous ne nous attarderons pas mais que n’aurait pas reniés Néron, eut vent des talents du moine et entreprit de le faire venir en sa cour.

[image] L’empereur Xuanzong

Afin de ne pas sembler lui forcer la main, il l’invita à s’installer dans un temple du nom de Huayan au prétexte d’y enseigner et de traduire des manuscrits du Bouddhisme Vajranaya [size=8](Aparté : le premier qui me demande
en quoi consiste le Bouddhisme Vajranaya, je le fais bastonner par mes gens).

O.K. accepta le moine, incapable de résister à ce vif plaisir intellectuel. Las, pas moyen d’être tranquille avec ses jolis textes en sanscrit : il fut régulièrement convoqué à la cour pour un oui pour un non, tant l’Empereur goûtait son savoir. Bien entendu, cette charmante attitude était intéressée : L’Empire crevait de faim, ce qui entraînait pas mal d’agitation dont on se serait bien passé. Sachant que l’agriculture et les récoltes étaient liées aux rythmes saisonniers, sa Majesté avait besoin de conseils pour mieux connaître le cours des saisons, qui ne collait pas toujours avec le calendrier officiel. Il fallait pour cela disposer des instruments de mesure adéquats. Hélas, ceux existant à la cour étaient obsolètes et personne ne disposait des talents nécessaires pour les remettre au goût du jour, sauf notre Yi Xing.

L’Empereur sut se montrer persuasif et en 721, le moine accepta de prendre ses quartiers à la cour où il fut bombardé Astronome Officiel chargé de la réforme du calendrier. Il commença par mettre tout le vieux bazar d’instruments par terre et fit construire l’astrolabe sphérique Tang permettant de suivre la course de cent-cinquante planètes. En 724, l’astrolabe était opérationnel. Pas mal, mais Yi Xing n’avait pas encore atteint le but qu’il s’était fixé. Il voulait quelque chose de plus complet, avec des améliorations techniques qui raviraient son instinct de mathématicien et qui permettraient une meilleure représentation de l’écoulement du temps.

[image] Yi Xing rédigeant le calendrier Tang

Il entreprit alors la construction d’un astrolabe qui donnerait l’heure. Une horloge astronomique automatique, avec les mouvements de la Lune, du Soleil et de cinq planètes, entraînée pas l’eau. Bon, direz-vous. Une clepsydre, quoi. Pas la peine de nous en faire tout un plat ! Ah, mais que non ! Une clepsydre, c’est un outil qui donne vaguement l’heure grâce à l’écoulement d’une certaine quantité d’eau dans des vases conçus à cet effet. Dans la machine de Yi Xing, l’eau ne sert qu’à entraîner un mouvement, nuance. Mouvement particulièrement complexe, capable entre autres particularités de sonner tous les Chi Sen (un Chi Sen vaut deux heures) et tous les quarts de Chi Sen en frappant sur un tambour. Pour que l’horloge donne précisément l’heure, quel que soit l’écoulement de l’eau, il lui faut un appareil régulateur. Un jeu d’enfant pour Yi Xing, qui, en toute simplicité, équipa sa bécane d’un échappement. Ce fut donc la première véritable horloge dans le monde, une demi-douzaine de siècles avant qu’apparaissent sous nos cieux les premières horloges monumentales.

[image] La machine de Yi Xing

Son grand ’œuvre accompli, Yi Xing retourna à ses affaires, c’est-à-dire à la philosophie bouddhiste et au taoïsme. On raconte qu’un jour de l’an 727, le moine Pu Ji, qui avait été le maître et l’ami de Yi Xing reçut la visite de celui-ci dans son monastère du Henan. Après qu’ils eussent tenu conversation en privé, Yi Xing alla s’enfermer dans une proche maison. Aussitôt, Pu Ji appela ses disciples :
-Faites sonner l’horloge ! Le moine Yi Xing est décédé ! »
Tous se précipitèrent vers la maison où s’était enfermé le moine.
Ayant forcé la porte, ils trouvèrent celui-ci sereinement assis en position de méditation et parfaitement mort, son parcours sur terre achevé. C’est beau, non ? MAIS, notre histoire ne s’arrête pas là !

Exit Yi Wing. Le calendrier Tang qu’il avait mis en place sembla donner satisfaction, puisqu’il fut adopté par tout l’Empire qui, au demeurant, n’avait guère le choix, et s’exporta également chez les voisins indiens ainsi que chez les japonais, bien connus alors comme pompeurs d’idées. Ce calendrier ne fut surpassé qu’à la fin de la dynastie Ming, lorsque la Chine découvrit le calendrier grégorien, soit un bon millénaire plus tard.

Entretemps, l’horloge astronomique construite au palais impérial avait fini par prendre un coup de vieux et dut être remplacée. Sous le règne du sixième empereur de la dynastie Song, un dénommé Zhe Zhong, aux alentours de notre An Mil, on entreprit d’en construire une autre, et tant qu’à faire, autant faire mieux. Ce fut un certain Su Song qui s’y colla.

[image]
Su Song


Ce Su Song, né en 1020, était une sorte de Léonard de Vinci chinois mâtiné de professeur Piccard, de Buffon, d’Einstein, de Pasteur, de Géo Trouvetout et d’une foultitude de savants divers: astronome, mathématicien, physicien, cartographe, pharmacologue, zoologue, botaniste, poète, ingénieur, architecte, collectionneur d’art et d’antiquités (!), homme d’état et ambassadeur. Entre autres activités. Bref, une pointure. Ne pouvant mener toutes ces menues occupations à la fois, il s’entoura d’une équipe de chercheurs de tous poils qui réalisèrent un condensé de tout ce que l’on connaissait alors en matière d’astronomie et de calcul du temps et de l’espace. Les travaux de Yi Xing servirent, parmi nombre d’autres, de base à leurs études qui aboutirent à un engin exceptionnel.

[image] L’empereur Song Zhe Zhon

Après six ans de boulot, on édifia en 1086 à Kaifeng, la capitale de Zhe Zhong, une tour-pagode de plus de neuf mètres de haut. Cette tour contenait une horloge astronomique complexe comprenant, au sommet, une sphère armillaire en bronze entraînée mécaniquement (une première mondiale) donnant la position des étoiles. Au-dessous, on trouvait un globe céleste permettant la comparaison avec la sphère armillaire puis, sur cinq étages, une série de cloches, de gongs, de personnages animés sortant à tour de rôle en présentant les heures et les quarts d’heure sur des panneaux, le tout entraîné par un mouvement perpétuel équipé d’une chaîne de transmission à force constante et d’un échappement. Bien sûr, aujourd’hui, moyennant quelques poignées d’euros, on sait faire tenir tout ce matériel dans une montre bracelet et l’écoulement de l’eau est remplacé par la détente d’un ressort mais quand même, ça avait de la gueule, non ?

[image] La tour pagode de Su Song, très inspirée de la machine de Yi Xing

[image] Autre maquette (simplifiée) de la machine de Su Song


Malheureusement pour la machine de Su Song, la dynastie des Song s’écroula sous les coups des tartares Chin. Après l’invasion par l’armée mandchoue, Kaifeng tomba en 1126 entre les mains de la dynastie des Jin Jurchen. L’horloge fut démontée, dispersée et la sphère armillaire emmenée à Pékin. Su Song étant décédé en 1101, nul ne sut comment rebâtir la machine. Son créateur avait bien laissé un ouvrage détaillant toutes les particularités de son œuvre, avec plans, technique de montage, mode d’emploi, trucs et astuces mais, pas de chance, dans l’agitation de cette période troublée, on perdit le livre. La machine de Su Song disparut.

Miracle, le bouquin réapparut cinq siècles plus tard et fut réimprimé, pour s’évaporer de nouveau, jusqu’à la fin du XIXème. Cette seconde redécouverte permit la réalisation de la maquette se trouvant aujourd’hui au British Muséum et la reconstitution du premier système d’échappement connu au monde.

[image] L’échappement de Su Song

Aussi, la prochaine fois que vous regarderez votre montre portant fièrement la mention « Swiss Made » ou « fabriquée en France » ou en Allemagne ou je ne sais dans quel autre pays exotique, car nous habitons des pays exotiques pour nos camarades chinois, dites :

« -Yi Xing Su Song, Yi Xing Su Song, Yi Xing Su Song, Yi Xing Su Song… »


Et arrêtez de prétendre que les chinois ne sont bons qu’à copier et à fabriquer des bouses ! [/size]

Sources:
Britsh Museum
Clearharmony
The chinese timekippers 5Pekin)
Wikipedia
Editions Playblack

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Je tiens beaucoup à ma montre, c'est mon Grand Père qui me l'a vendue sur son lit de mort (W. Allen)


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