capitaine56


Toujours près de la mer,
15/10/13, 15:58
 

Lepaute et compagnie (Articles)

Plus que les montres, c’est leur histoire qui m’intéresse, leur univers, leur passé. Ceci a un gros avantage : il est moins couteux d’en parler que de les acheter. Vous aviez remarqué ? Ah bon. Aujourd’hui, pas de montre sur le clavier, mais l’histoire d’un horloger et de ses proches. Permettez que je la raconte.
Le 20 novembre 1720, vient au monde Jean André Nicolas Lepaute, à Thonne-la-Long en Lorraine. D’autres situent sa naissance à Mogues, dans les Ardennes, ce qui est une erreur, la preuve:

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L'église de Thonne-la-Long, avec son horloge offerte par les Lepaute.

Ne nous arrêtons pas à ce détail. Ce qui est certain, c’est qu’il vient très jeune à Paris où, dès 1740, il fonde son entreprise d’horlogerie. Il a si vite grande réputation qu’il se voit logé par décision royale au Palais du Luxembourg dont il construit l’horloge. On lui confiera également la construction d’autres horloges monumentales : celles du Jardin des Plantes, celle du château de Bellevue, du château des Ternes et d’autres encore.

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L’horloge du palais du Luxembourg.


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Celle de l'Ecole MIlitaire

Au palais, pendant qu’il procède, avec son frère cadet Jean Baptiste, à la construction de l’horloge qui lui a été commandée, Il fait la connaissance de Nicole-Reine Etable de la Brière. Née le 5 Janvier 1723, elle est la fille de Jean Etable, ancien valet de pied de la duchesse de Berry et au service maintenant de la reine douairière d’Espagne, Louise Elisabeth d’Orléans. La famille Etable
est depuis longtemps au service de la famille d’Orléans. Le 26 août 1749, Jean-André épouse Nicole-Reine.

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Nicole-Reine Etable de la Brière


Avant de revenir à Jean André, intéressons-nous à cette dernière, elle le mérite. Dès son enfance, elle a marqué un vif penchant pour les sciences, ce qui n’est guère commun à cette époque et plus particulièrement pour les sciences exactes. Nicole-Reine est une femme savante, littéralement et non pas dans le sens péjoratif de Molière. Les mathématiques n’ont pas de secret pour elle, au point que son mari propose à son ami, le mathématicien Jérôme Lalande, lui aussi domicilié au Luxembourg, de s’attacher sa collaboration.

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Joseph Jérôme Lefrançais de Lalande (1732-1807)


Lalande présente Nicole-Reine à Alexis Claude Clairaut, mathématicien et astronome incroyablement précoce, déjà fort célèbre et qui travaille à l’Observatoire situé au Palais du Luxembourg. Elle donne alors toute la mesure de son talent : elle participe avec Lalande et Clairaut aux innombrables calculs permettant de confirmer la théorie de l’astronome Halley sur le retour de la comète qui, plus tard, portera le nom de ce dernier. Cette recherche permet de prévoir le passage de cette comète vers le 13 Avril 1759 avec une approximation d’un mois. Cette dernière sera à sa distance la plus proche du soleil (périhélie) le 13 Mars. C’est un immense succès pour Alexis Clairaut, Joseph Lalande et Nicole-Reine Lepaute. Celle-ci, hélas, n’en profite pas. Ce bon Clairaut, académicien à l’âge de 18 ans, savant reconnu et admiré, se comporte lamentablement : il «oublie» de mentionner le travail de Nicole-Reine dans son ouvrage paru en 1760 «la théorie des comètes». Certains prétendent que cet oubli a été commis pour plaire à la petite amie de Clairaut, une certaine demoiselle Goulier, jalouse de la présence continuelle de Nicole-Reine auprès de son bien-aimé. Méprisons ces médisances…mais n’oublions pas que Clairaut n’a, au moment de leurs recherches, que 35 ans, Nicole-Reine 25, Lalande 26 et Lepaute, le vieillard de la bande, en porte 38. Ce qui est certain, c’est que cette omission volontaire va définitivement assombrir les relations entre Lalande et Clairaut.

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Alexis Claude Clairaut (1713-1765)


Nicole-Reine, n’en est pas autrement affectée. Elle s’intéresse à tant d’autres sujets ! On lui doit les «Tables du soleil, de la lune et des planètes» dans l’un des ouvrages publiés par Lalande : les «Éphémérides des mouvements célestes». On lui doit aussi une «Table des angles parallactiques» et une « carte de l’éclipse annulaire du soleil » du 1er avril 1774, qui représente cette éclipse quart d'heure par quart d'heure et qui sera diffusée dans l'Europe entière.

Définition d’un angle parallactique :


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Rien que ça! Nicole-Reine est une étoile dans le monde des astronomes, au point qu’elle est reçue membre associé de l’Académie de Béziers en 1761. Une femme académicienne ! Philibert Commerson, le naturaliste, lui a dédié une rose du Japon à laquelle il a donné le nom de «Lepautia». Mais il se souvient alors qu’il a déjà baptisé de ce nom une autre fleur. La Lepautia de Commerson recevra donc un autre patronyme sous lequel nous la connaissons toujours : Hortensia. Pendant ce temps, Nicole-Reine a travaillé pour son époux : elle lui a calculé et rédigé la «table des longueurs des pendules» qu’il va insérer dans son ouvrage de 1755, le «Traité d’horlogerie».

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Philibert Commerson (1727-1773)

Nous voici revenu à Jean André Lepaute. En 1753, il a été nommé horloger du Roi. Il a mis au point un nouveau type d’échappement dit «à cheville» dont Lalande a été chargé de contrôler l’efficacité. C’est d’ailleurs à ce moment qu’ils deviendront amis. Il mène des recherches sur les chronomètres destinés à la marine. Il se spécialise dans la réalisation d’horloges astronomiques. En 1755, il fait éditer son «traité d’horlogerie», un volume in-quarto accompagné de dix-sept planches de schémas qui sera suivi d’une seconde édition parue en 1760 à laquelle Lalande participera. Son dernier ouvrage, «Descriptions de plusieurs ouvrages d’horlogerie» sera édité en 1764.

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Jean-André Lepaute (1720-1789)


Il travaille jusqu’en 1774 puis, gravement malade, cède la direction de son entreprise à son frère Jean Baptiste qui sera le fondateur d’une dynastie d’horlogers aussi brillants que le furent les Leroy et qui perdurera pendant deux siècles.

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Jean-Baptiste Lepaute.

Jean André décède à Saint Cloud le 11 avril 1789, peu après son épouse, disparue le 6 décembre 1788. Ils n’ont pas eu d’enfant et c’est à leurs neveux qu’ils ont transmis leur savoir. Chacun de ces neveux a une histoire digne d’être racontée. Intéressons-nous un instant à celle de Joseph, dit Lepaute Dagelet, venu de Thonne –la-Long où il a vu le jour le 25 novembre 1751.

A quinze ans, ses oncles le font venir à Paris, où il reçoit de Lalande, l’ami proche, une solide formation de mathématicien et de Nicole-Reine une non moins solide instruction d’astronome. En 1773, il participe à la seconde expédition vers les terres australes menée par Yves de Kerguelen de Trémarec. C’est lors de ce voyage qu’il devient professeur de mathématiques.
Il exercera à son retour à l’École Militaire en 1777, alors qu’il n’a que 26 ans. Il sera membre de l’Académie des sciences de Paris en 1785, à l’âge de 34 ans. Ce haut niveau de connaissances et l’expérience des voyages au long cours acquise auprès d’Yves de Kerguelen lui permettent de compter parmi les membres de l’expédition qu’organise le comte de Lapérousse sur les traces de James Cook et de Louis Antoine de Bougainville, avec le soutien du roi Louis XVI.
Il embarque donc sur l’une des deux frégates, l’Astrolabe et la Boussole qui après avoir effectué la partie la plus ardue de leur périple se perdront sur les récifs de Vanikoro (Iles Salomon) en 1788. Certains pensent que le squelette miraculeusement préservé et retrouvé lors de l’expédition de 2003 sur l’épave de la Boussole, pourrait être le sien… ce qui est infirmé par les reconstitutions paléoanthropologiques.

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Joseph Lepaute Dagelet (1751-1788)

Quittons le siècle des Lumières, Jean-André, Nicole-Reine, Jean-Baptiste Lepaute et consorts. Revenons à notre époque.

Ah! Les foires à la brocante, les vide-greniers, les trocs et puces ! Bien que l’on se dise, à chaque fois, que l’on va perdre son temps, un je ne sais trop quoi fait que l’on y retourne.

Voici une quinzaine de jours, une grosse, très grosse brocante était organisée place Viarme à Nantes. Après deux jours de résistance, le beau temps poussant à mettre le nez dehors, je finis par céder. Comme prévu, temps perdu. Toujours les sempiternelles LIP (attention : je n’ai rien contre LIP) surestimées, les tas de tocantes de gousset ou de col incomplètes, les bidouilles à quartz en vrac, toujours le même marchand acagnardé derrière ses vitrines aux tarifs ébouriffants. Quitte à être là, peut-être faudrait-il voir du côté des bouquins ? Bof, après une longue quête, « la mesure du temps et de l’espace » édition de 1970 s’offre à moi. Histoire de ne pas repartir les mains vides, j’achète. A tout hasard, j’interroge le bouquiniste :
« Avez-vous autre chose sur les montres ?
-Non.
Un moment de réflexion :
« Quoique…j’ai autre chose de complétement différent, plutôt dans le style collection.
-On peut voir ?
-Bien sûr !
Le marchand grimpe sur une chaise et descend du haut d’une étagère un vieux bouquin.
-Je vous préviens, il n’est pas récent, mais, si vous êtes amateur, vous ne serez pas déçu !
Et sous mes yeux ébahis apparait, soigneusement protégé par une couverture de plastique, ceci :
l’édition originale de 1755 du traité d’horlogerie de Lepaute, au complet, avec ses planches, toutes ses pages parfaitement lisibles et sous sa reliure d’origine.

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Traité d’horlogerie

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Page de présentation

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Planche N° 2

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Extrait d’une planche.


Qui a dit que l’on ne trouvait plus rien chez les brocs ?
-Combien ?
-Tant.
Ma blonde tousse. Mais bon, je sais la convaincre. Un peu de négociation et je repars avec l’ouvrage et en cadeau bonus « la mesure du temps et de [i]l’espace ».[/i]
A peine rentré, plongeon dans la lecture du chapitre de présentation, qui évoque tout d’abord la naissance des premières horloges en Europe, quelques pendules rares du château de Versailles, les ouvrages précédents de Monsieur Henri Sully, de Monsieur Julien Le Roy, les travaux de Monsieur Christian Huygens et d’autres célébrités puis explique l’organisation choisie par Lepaute pour son propre ouvrage. Il y aura du grain à moudre pour de prochains articles!

Le quatrième chapitre de la première partie, intitulé « remarques sur le choix des montres », ne manque pas de sel, au point qu’il ne m’est pas possible de résister au plaisir de vous le recopier in extenso :

« Il est impossible de juger exactement de la bonté d’une montre à la première vue et sans la démonter, il n’y a même, en général, que les habiles Maîtres qui puissent s’en assurer, en l’examinant avec toute leur attention. Cette difficulté de discerner les bons ouvrages des médiocres ou des mauvais est la cause des abus et des fraudes auxquels est exposée la crédulité du public, il est même peu de personnes auxquelles on puisse s’en rapporter en toute sûreté ; parce que la réalité de subsister oblige souvent les plus habiles à se relâcher & ceux qui le sont moins à y suppléer par ce qui s’appelle mal-à-propos de l’adresse.

L’abus le plus criant est surtout le mensonge des ouvriers obscurs qui mettent sur leurs ouvrages le nom des Maîtres les plus connus ; que ne pouvons-nous espérer de voir bientôt le public en état de se garantir de l’erreur, de connaître le mérite de ceux-ci et de punir, par son mépris, la témérité des derniers. »



Consolez-vous, camarades collectionneurs floués lors de l’achat d’une "Drolex", d’un "Pastèque Phtisique" ou d’une "Vachecon Rintintin", les faussaires viennent de loin !

Kenavo

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Je tiens beaucoup à ma montre, c'est mon Grand Père qui me l'a vendue sur son lit de mort (W. Allen)

Manentscripta


15/10/13, 16:09

@ capitaine56

Lepaute et compagnie

Cette fois, le hasard fait que je suis le premier à lire ce nouvel article. Comme toujours, le fond et la forme captivent le lecteur. Est-ce parce que je m'intéresse aussi aux livres anciens que j'ai ressenti un peu de votre excitation à la découverte d'un ouvrage probablement aussi rare que précieux.
Encore bravo et merci pour vos articles.

fb
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Page d'accueil digne-les-bains,
15/10/13, 17:31

@ capitaine56

Lepaute et compagnie

Tu vas dire qu'après m'avoir montré la lune, je regarde le doigt, mais moi j'ai surtout retenu la trombine de lalande

Non de dieu ce qu'il est laid !!!!

merci à toi

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Fabrice

capitaine56


Toujours près de la mer,
15/10/13, 17:48

@ fb

Lepaute et compagnie

» Tu vas dire qu'après m'avoir montré la lune, je regarde le doigt, mais moi
» j'ai surtout retenu la trombine de lalande
»
» Non de dieu ce qu'il est laid !!!!

C'est le moins que l'on puisse dire! Et tous ses autres portraits sont du même tonneau, sauf le tableau peint par Fragonard, sur lequel il est outrageusement flatté. Le plus rigolo, c'est qu'on l'a soupçonné d'avoir séduit Madame Lepaute. Si l'on regarde le portrait de Lepaute... on peut en douter!

Voici ce qu'écrivait un admirateur (rappelons au passage que Lalande était franc-maçon et anti-clérical):

Ce Dieu, dont tant de fois, il nia l'existence,
En le créant si laid méritait sa vengeance ;
Moi, j'aime son front chauve, et je crois en effet
Que le feu du génie a brûlé son toupet.

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Je tiens beaucoup à ma montre, c'est mon Grand Père qui me l'a vendue sur son lit de mort (W. Allen)

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