Il y a quelques temps, j'ai eu le plaisir de présenter ici une montre gousset à répétition qui est entrée dans ma famille à l'aube du dix neuvième siècle et ne l'a jamais quittée. Voici l'objet:


A l'instant où j'écris ce post , elle est là, sous mes yeux, suspendue à son présentoir et me donne l'heure dix neuf heures cinquante neuf minutes avec une précision étonnante pour son âge.
Le problème était que je ne savais rien du fabricant de cette montre , si ce n'est son patronyme, De Belle, et son adresse, rue Saint Honoré à Paris. Mes appels au secours étaient demeurés vains. or, voici quelques semaines, j'ai fait l'acquisition d'un lot de livres portant sur l'horlogerie ancienne. L'un d'eux, traitant des montres françaises du seizième siècle à 1900, signé par Adolphe Chapiro, m'a permis de découvrir, enfin, qui était ce De Belle que notre ami Google s'obstine à ignorer. il a tort, le bougre, car notre De Belle n'est pas n'importe qui.
Permettez que je l'évoque brièvement ici.

Je ne parlerai ni de sa date de naissance, ni de celle de sa mort que j'ignore l'une et l'autre, mais de ses heures de gloire, ce qui est bien naturel lorsque l'on s'intéresse à un horloger.

Son premier fait d'arme fut, sans doute, d'être l'un des précurseurs de l'échappement à ancre, ce qui n'est pas peu. Dans la foulée de Bréguet, de Lépine et de Robin, plusieurs horlogers parisiens s'attaquèrent à ce dispositif, dont notre De Belle, qui présenta la montre N° 4732 équipée d'un échappement à ancre, d'un mouvement semi empierré et de roue d'échappement en or. Ma montre-à-moi-que-j'aime porte le N°4841 et bénéficie de cet équipement. j'en suis ravi, mais pas plus riche pour autant.

Notre bon De Belle, lui s'était précédemment illustré dans une autre affaire d'heures. Le projet des heures décimales. Pour ceux qui n'ont pas bien suivi leurs cours d'Histoire, je rappelle que la Convention, après l'adoption du système décimal pour les unités de mesures classiques, entreprit de décimaliser (avant de décimer la fine fleur de la Nation puis de s'autodécimer) tout ce qui lui tombait sous la main et en particulier le système de mesure du temps.
Voici apparaitre le calendrier révolutionnaire, avec ses mois aux appellations poétiques et dans la foulée, le projet d'heure décimale:
A dater du 4 frimaire de l'an II (24 novembre 1793) la journée se divisera de la façon suivante:
-Dix heures décimales,
-Chacune d'elle divisée en cent minutes,
-Chaque minute divisée en cent secondes.
Fermez le ban.

Qu'est ce que cela donnait dans la réalité du quotidien du citoyen lambda?
Un joyeux foutoir!
La journée commence à minuit, 0 heure décimale. Jusque là, ça va. L'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt. Donc, petit lever vers...disons deux heures, deux heures et demi de mat'. A midi, il est cinq heures. Fichtre. A minuit, dix heures. Ouille! Serait-ce l'heure de la pause café?

Ce qui signifie que chaque heure a duré en décimales deux heures quarante centièmes, soit en soixantièmes, deux heures et vingt quatre minutes. Vous suivez?
C'est pourtant simple! Je répète: une heure décimale vaut deux heures quarante centièmes, une minute décimale équivaut à une minute et quarante quatre secondes sexagésimales et la seconde décimale correspond à 0,864 seconde ancienne. Ah! Ah!Ah!

Après, y a pu qu'à: à transformer toutes les montres du pays, à modifier toutes les pendules, à reconstruire toutes les horloges de tous les beffrois et de tous les clochers. Une paille...
Aussi, devant l'ampleur du projet, la République prit une décision judicieuse et instaura une pratique qui perdure aujourd'hui pour le plus grand bonheur de certains: elle mit en place une COMMISSION. Ah! Le beau mot! Ah, le bel effort! Et c'est qui qui faisait partie de la dite commission? Des flèches! Des pointures! Des épées! des sommités! Par ordre alphabétique, pour ne froisser personne:
-Ferdinand Berthoud, himself,
-Jacques André Charles (physicein)
-Jean François De Belle (et oui, c'est lui!)
-Antide Janvier
-Jean Louis Lagrange (l'astronome)
-Jean Baptiste Lepaute (Président)
-Jean Antoine Lépine
-Claude Mathieu
Que du très beau monde.

Alors on se penche sur les différents projets, soumis par d'autres sommités: Robin, Droz, Lallemand, j'en passe...
Rien n'y fait. On ne débarbouille pas comme ça les habitudes horaires d'une nation, fut-elle révolutionnaire. Quant aux pays voisins, ils rigolent encore.
Le 14 frimaire de l'an trois (soit après treize mois de réflexion payés par l’État) le verdict tombe:
"ça marche point."

Restait à replier les gaules, ce qui fut fait par décret le 18 Germinal de l'an III (7 avril 1795): le décret du 4 Frimaire le l"An II instaurant l'heure décimale était "suspendu". Merci de noter au passage que ce terme est toujours employé lorsqu'il s'agit d'enterrer une idée, aussi mauvaise soit-elle. Au fait, ça donnerai quoi la semaine de trente cinq heures en unités décimales?

Quant à moi, je suis bien aise d'avoir situé mon De Belle. Tiens, just for fun, je vais faire sonner sa montre.
Kenavo

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Je tiens beaucoup à ma montre, c'est mon Grand Père qui me l'a vendue sur son lit de mort (W. Allen)

Sympa cette histoire !
J'ai déjà vu quelques montres intéressantes de De Belle mais je ne m'étais jamais vraiment penché sur cet horloger.

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Nouveau site web spécialisé en Omega vintage : https://brusselsvintagewatches.com

Merci pour cette amusante anecdote de la Révolution. Je me demande si l'on peut trouver des pendules décimales de cette époque.

Kenavas

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**Exupéry (Modérateur)**

merci pour le partage, je devais discuter avec ma voisine pendant le cours d'histoire

Salut Captain,

Je ne participe pas souvent à des post mais là franchement superbe, beau travail.

JMR

Eh Ben!
Merci à vous. J'adoooooore raconter des histoires, à condition qu'elles ne soient pas tristes et je trouve cette idée d'heure décimale assez rigolote. D'autant que s'ils avaient envisagé de découper la journée en vingt heures et non pas dix, le problème aurait peut-être été moins ardu. Quoique....

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Je tiens beaucoup à ma montre, c'est mon Grand Père qui me l'a vendue sur son lit de mort (W. Allen)

Sympa comme tout ton histoire de l'Histoire

Comme quoi les décisions gouvernementales a la c.. Ne sont pas une mode récente !

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Passer pour un idiot aux yeux d'un imbécile est un plaisir de fin gourmet...

sympa, merci, ça m'a bien fait rire!

venant d'un spécialiste des montres gousset, voilà qui me fait rudement plaisir!
Je suis allé sur le site, Pianiste. Superbe.

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Je tiens beaucoup à ma montre, c'est mon Grand Père qui me l'a vendue sur son lit de mort (W. Allen)

En feuilletant un autre bouquin (l'horlogerie ancienne, de Michel Hayard), je viens de découvrir que ce genre de couennerie a eu des prolongements:
Une maison réputée sérieuse, Le Roy, pour être précis, a tenté de relancer la mode des montres décimales au début du vingtième siècle. Comme il se trouve toujours des sots pour courir après toute forme de nouveauté, le Club Nautique de Nice offrit ces montres aux vainqueurs de ses régates internationales.
Pratique, pour calculer les dix minutes de pré-départ de course!
Il y eu aussi un certain Planchon, rue des Flandres à Paris, qui se lança dans la transformation de montres duodécimales en décimales. Y a des vicieux partout, crédié! N'empêche, voilà encore une bonne raison pour les collectionneurs d'étrangeté de cracher leur bon argent.

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Je tiens beaucoup à ma montre, c'est mon Grand Père qui me l'a vendue sur son lit de mort (W. Allen)

» Comme quoi les décisions gouvernementales a la c.. Ne sont pas une mode
» récente !


mouais, mais il ne faut pas oublier que cette réforme a aussi donné naissance au système métrique largement adopté aujourd'hui (et beaucoup plus pratique que les pouces, pieds zet gallons...).

Du coup, on peut penser que c'est surtout une question d'habitude, non? d'autant que la mesure du temps telle que nous la connaissons est largement aussi arbitraire que celle proposée par la Révolution.

J'aimerais bien trouver des photos de ces curiosités. Dans un autre registre, cela me fait penser que le siecle de la Révolution fut fécond en idées originales qui se voulaient basées sur la raison. Par exemple, Rousseau qui a voulu créer un nouveau systeme de notation de la musique, décimal lui aussi, car cela semblait plus logique que le systeme classique. Ou l'on se rend compte que l'irrationnel aura toujours bonne place dans certains domaines comme la musique et les tocantes.

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**Exupéry (Modérateur)**

Mouais...
A cela près que les mois de trente jours, divisés en semaines de dix jours, avec cinq jours "flottants" à la fin de l'année (six pour les années bissextiles), ça n'est pas très sérieux... Cela me fait penser au calendrier romain au au calendrier grec avec les jours libres pour la fiesta olé olé!
Par ailleurs, le système décimal s'adapte bien aux calculs de longueurs, de distance ou de poids. Moins au calcul des heures.

@exupery:
on doit pouvoir trouver des photos sur Google, sinon, il y en a dans mes bouquins, mais ai-je le droit de les uploader?

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Je tiens beaucoup à ma montre, c'est mon Grand Père qui me l'a vendue sur son lit de mort (W. Allen)

Très sympathique histoire, tout aussi sympathiquement racontée. Merci !
Ah, Berthoud, Lepaute, Janvier et Lépine réunis, quelle époque !

» mais ai-je le droit de les uploader?

Il y a sûrement des juristes qui sont spécialisés ici, mais a priori, une reproduction partielle a des fins non commerciales ne semble pas être un problème, comme en témoignent les nombreuses reproductions d'articles, gravures et autres sur ce site.

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**Exupéry (Modérateur)**

Voici quelques images de montres révolutionnaires, graduées en heures décimales.
D'abord, le principe:





Ensuite, quelques réalisations:


Comme chacun peut le voir, nos artistes ont tenté de tourner la difficulté en proposant des cadrans à double affichage.
Pas c..., les mecs.
N'empêche qu'il y a encore de quoi se prendre les pieds dans le tapis! Tiens, au hasard, la montre avec les trente jours et les trois décades réglementaires que voici:



Où y sont, les cinq jours baladeurs de la fin d'année, hein? Ils n'existent pas! Ces jours-là, on dort. Cinq jours de suite.
La montre proposée par Lallemand est assez "siouxxe":



Sur le même cadran, de l'extérieur vers l'intérieur, on trouve:
-Le quantième républicain (trente jours, pile, poil)
-Les heures duodécimales sur vingt quatre heures, où plutôt, deux fois douze, -Les minutes du même tonneau
-Les heures et les minutes décimales
Pas mal, pas mal. Mais qui va vraiment se servir de l'heure décimale?
Allez, tranchons dans le vif, ce qui est naturel à cette époque: personne.
Ceux qui auraient eu les moyens de s'offrir ces joujoux sont ou seront décimés ou se sont déjà carapatés vers des cieux où la journée se découpe en tranches de deux fois douze et où ils peuvent garder la tête sur les épaules.

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Je tiens beaucoup à ma montre, c'est mon Grand Père qui me l'a vendue sur son lit de mort (W. Allen)

Comme tous les copains, moi aussi j'ai adoré !
Belle histoire, bien racontée, et même illustrée, bref un post aussi intéressant que sympathique comme on aimerait en voir souvent.
Merci Cap'tain !
Amitiés,
Mike