Cet été, comme je manquais de ressort, j'ai pris un peu de détente. Oh, peu de temps, juste quelques phases de lune, mais cet échappement m'a remonté, c'était automatique. Loin de moi le bruit des chemins de fer, les créneaux horaires à respecter, les retours en vol, les sauts par dessus les fuseaux, les courses effrénées d'une chaussée à l'autre, les tambours battant et le cylindre écrasant de la vie agitée d'un retraité et même les parties de raquette sensées permettre une pose. J'avais, très lisiblement, une dent contre le barillet des devoirs de la société en permanence braqué sur moi. J'ai donc goupillé mon emploi du temps et mis ma coque à l'ancre, dans un écrin de mer bleuie, assez loin des rochets pour éviter le moindre toc. Faut pas faire le gong avec ça ! L'axe de mes jours a changé. Dès le réveil, vissé sur mon pont, j'ai laissé filer les heures, profité de chaque minute sans en sauter une seconde, écoutant le battement des vagues au rythme du temps, dans les mouvements de balancier de la marée. Certes, vous me direz qu'il faut être marteau pour s'arrêter ainsi et que ce n'est pas en restant statique que l'on se fait des bonbons en platine ou que l'on fait tourner les roues de la fortune mais c'est quand même l'ébauche du bonheur. Je n'ai donc pas balancé entre le magnétisme de l'écran de la télévision et l'éclat du miroir de l'océan. Parfois, aiguillonné par la faim ou afin de ne pas me laisser rouiller, je mettais quelques lignes à tremper en régulant soigneusement leur longueur pour éviter que les tiges de leurs bouchons ne s’emmêlent, ce qui aurait pu occasionner du retard à la levée de celle qui aurait subi les secousses d'un quelconque poisson pris au crochet.
Quant la sonnerie de l'heure de l'apéro se déclenchait, mesurant une journée bien huilée, je rattrapais le temps passé en couronnant mes heures de repos à l'aide d'un délicat remontant ou d'un canon de rouge. Sans à-coup ! Tout en fluidité. J'étais conscient de n'en avoir pas pris garde, au temps, mais la précision ne cadençait pas mes journées et je n'avais plus qu'à faire tourner le pivot de mon siège dans un mouvement de spiral pour admirer, à travers mes lunettes à verres filtrants étanches aux ultra-violets, la palette des rayons du soleil couchant, dans des éclats de rubis, d'or et d'acier, jusqu'à ce que la nuit se montre luminescente, que le temps suspende son vol, que je mesure ma bonne heure et que par chance, je capte un dernier reflet indirect de soleil sur la montre de mon matelot.

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Je tiens beaucoup à ma montre, c'est mon Grand Père qui me l'a vendue sur son lit de mort (W. Allen)