La montre du père de Jérôme Garcin (Général)

posté par villerville (modérateur) , 22/11/15, 15:06
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Dans M, le magazine du Monde de ce weekend, une belle évocation de la montre du père :

La montre de Jérôme Garcin.

L'animateur du "Masque et la Plume" fête ce mois-ci les 60 ans de l'émission de france inter. Il signe pour l'occasion "Nos dimanches soirs", qui en retrace, sous forme d'abécédaire, l'histoire et les coulisses. il a choisi pour totem la montre de son père, qu'il n'a jamais cessé de porter depuis la mort brutale de ce dernier.

Cette montre est celle que mon père portait lorsqu'il a fait sa chute mortelle de cheval, le 21 avril 1973 dans la forêt de Rambouillet. Il avait 45 ans, et moi, 17. Je me suis alors précipité dans son bureau pour chercher des traces manuscrites, des objets, des meubles, comme son bureau, qui se trouve désormais chez moi. Je me suis aussi vêtu un temps de ses chemises, et je continue de porter sa montre, qui n'a jamais cessé de fonctionner. C'est assez troublant d'avoir sur soi l'objet qui égrène le temps me séparant de cette chute lointaine, mais qui, pour moi, était hier. Toute ma vie est fondée sur cet accident : ma passion paradoxale pour le cheval alors qu'elle a coûté la vie à mon père, et mon amour de l'écriture qui m'a permis de comprendre pourquoi l'animal ayant causé sa perte était devenu son prolongement. Avant ce drame, il y avait eu la mort accidentelle de mon frère jumeau Olivier, en 1962. Si, toute ma vie, j'ai travaillé pour deux, c'est que j'avais le sentiment que l'autre part de moi disparue m'y obligeait. Et si mon père, un pur intellectuel, éditeur aux Presses universitaires de France, pour qui l'activité physique n'existait pas, a ressenti le besoin de monter à cheval, c'est parce qu'il ne supportait pas la perte terrible de son fils. Je suis l'enfant de ces deux accidents, de ces deux destins imbriqués. Après la mort de mon père, j'ai fui les chevaux d'une manière viscérale. Je ne pouvais pas les voir. Et, aujourd'hui, je vis le plus possible au milieu d'eux. Quand j'anime "Le Masque et la Plume", j'ai plus l'impression d'être un chef de reprise dans un manège qu'un journaliste. Même si je sais que cette tendance à vivre autant dans le présent que dans le passé est l'un de mes défauts, je ne peux pas oublier que cette montre me rattache à une époque follement aimée et fortement regrettée. Cette montre est aussi le symbole du jugement de mon père. Il était droit, rigoureux, exigeant, et j'ai le sentiment d'être en deçà ou à côté de ce qu'il aurait aimé que je devienne un jour. Cet objet me rappelle aussi qu'il ne faut pas tomber dans la complaisance et que l'on doit s'efforcer d'être à la hauteur de son exigence. Chaque fois que je la regarde, je calcule le temps qui s'est écoulé depuis 1962, l'année de la mort de mon frère, et depuis 1973, celle de mon père.


par Jérôme Badie


à lire Nos dimanches soirs, Grasset France Inter, 304 p., 19 €.à écouter"Le Masque et la Plume", tous les dimanches à 20 heures sur France Inter et en podcast sur www. franceinter.fr


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