Une histoire fançaise: AURICOSTE. Chapitre 4 (et fin) (Articles)

posté par capitaine56 , Toujours près de la mer, 13/02/15, 12:38

Chapitre 4 .

Retour en arrière (fly-back ou flash-back?) et sautons en vol de l'autre côté de la Méditerranée.

Alger en 1930

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C'est là que Claude Tordjmann voit le soleil le 30 juin 1932. Sept ans plus tard, la guerre le sépare de son père pour de longues années : celui-ci est fait prisonnier en 1940. Les temps qui suivent ne sont pas faciles pour le petit juif. Il est viré de l'école en raison de sa « race ». Les retrouvailles avec son père ne seront guère faciles : Tordjmann fils a appris la rigueur, Tordjmann père, une sorte de « je m'en foutisme », lui qui, plus tard, exposera à son rejeton sa notion de la gestion :

« Pourquoi te casser la tête, mon fils ? Trois dossiers : un pour les commandes, un pour les factures fournisseurs, le dernier pour les factures clients à encaisser. Et voilà... »

Vous rajoutez à ça l'accent pied-noir et vous avez tout compris.

Passons. L’Algérie... vous savez ce qu'il en advint. A Alger, où, comme partout, on manque de tout, Claude va monter sa première entreprise. En association avec un ami, il va vendre des ...pantalons. Nous sommes bien loin des montres bracelets et des chronomètres !

Dans les derniers temps de la présence française, le désordre le plus total s'installe. Le ravitaillement ne parvient plus que très mal dans certains secteurs. Claude s'improvise alors commerçant en légumes pour tenter de ravitailler les gens de son quartier. Mais c'est la fin. Ses parents ont quittés les premiers leur terre natale. Claude et son épouse, contraints et forcés, doivent les rejoindre précipitamment en 1962. Il a tout perdu. Poussé par sa mère, il rejoint le commerce familial, créé par son père et son oncle. Ce dernier lui cède la place et Claude se retrouve associé à son père dans une affaire de vente d'articles de sports.

Parallèlement à cette activité, notre Tordjmann se lance dans l'importation et la distribution de matériel de ski, de tennis, de ping-pong. Puis il est contacté par Adidas et Le Coq Sportif pour assurer la vente de leurs produite en ...Algérie, au prétexte qu'il est natif d'Alger.

Télécommandée depuis la métropole où Claude Tordjmann est définitivement installé, cette expérience, bien que réussie, ne dure guère car le pouvoir en place n'est pas l'interlocuteur idéal. Claude revient vers son domaine de prédilection : le matériel de ski.

De là, au gré des rencontres et des opportunités, il va passer aux machines outils, des machines-outils aux auto-détartreurs, des auto-détartreurs à l'informatique, de l'informatique à la géodésie, de la géodésie aux théodolites et même, je suis très sérieux, à la conception d'un réacteur de sous-marin atomique en coopération avec la D.C.N. (Direction des Constructions Navales) ! Le tout mené de front. Dans ce tourbillon d'activités, comment allons-nous en venir aux montres ? Excellente question que je me remercie de m'être posée. Et bien, nous y sommes.

Un 24 décembre, à 18 heures, Claude, bousculé par un emploi du temps dément, s'aperçoit qu'il n'a pas de cadeau à offrir à son épouse. LE drame ! Il se jette dans une bijouterie, bondée bien entendue, car il n'est pas le seul retardataire. Tandis qu'il attend son tour, il observe le manège d'un vendeur. Celui-ci est occupé à fourguer à une gentille cliente un chronographe destiné à son sportif de mari. Claude constate très vite que le loustic est un parfait incapable en la matière, qu'il raconte n'importe quoi et que la brave dame va offrir à son cher et tendre un objet qui ne correspond en rien à ses attentes. Il se mêle de la conversation, oriente la cliente et la vente est conclue pour le plus grand bonheur de tous.

Peu après, la scène revient à l'esprit de notre homme. Les chronomètres à usage sportif n'ont rien à faire chez les bijoutiers mais seraient tout à leur place dans les magasins d'articles de sports. Au fait, il est à la tête d'une société qui serait à même de s'en occuper ! Et c'est parti :
Il prend contact avec les frères Meyer, importateurs pour la France des chronomètres Hanhart et leur propose de se charger de la vente de ces chronos par l'intermédiaire de sa société. Marché conclu.

Capture L.B.C

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Capture « Stradale »

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Boum ! La vente des Hanhart explose et passe de vingt pièces par an à plus de trois cents, pour la plus grande joie des Meyer et à la grande surprise de Willy Hanhart lui-même qui, du coup, décide de venir voir sur place ce qu'il en est. Il ne tarde pas à découvrir le pot-aux-roses : ce ne sont pas les frères Meyer qui assurent la progression des ventes, mais la société « Thormann », simplification du nom de « Tordjmann ».

Le vieil homme, ancien fournisseur de l'Armée allemande et qui fait penser, dit Claude Tordjmann, à un de ces nazis qui lui faisaient si peur, décide immédiatement de commercer directement avec cet interlocuteur, sans prendre de gants avec les frères Meyer.

Wilhem Hanhart

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Et voici notre Claude Tordjmann prospectant, sous le nom de sa société, les horlogers et voilà comment il arrive un beau jour au 10 de la rue de la Boétie, où un certain Pierre Auricoste le laisse poireauter un très long moment avant de daigner le recevoir dans le capharnaüm qui lui sert de bureau.
« Monsieur Tordjmann, je fabrique moi-même des chronomètres que je vends principalement à la Marine Nationale. Si vous me promettez de ne pas intervenir auprès de ce client, je veux bien vous acheter vos produits. »

Chrono Auricoste

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Tordjmann, qui n'est pas introduit auprès de la Marine, accepte. Peu après, il est contacté au téléphone par un grand nom de l'horlogerie : Jack Heuer.

Présente-t-on Jack Heuer ?

Comme Willy Hanhart, il est le petit fils du fondateur de la marque. Comme lui, il cherche en France un distributeur pour ses chronomètres. Débat cornélien pour Claude Tordjmann : il ne peut pas représenter dans la même entité deux marques directement concurrentes. Mais ce n'est que partie remise.

Jack Heuer 1958

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Arrivent les années 1980 et la chute de Pierre Auricoste. En compagnie de celui-ci, Claude assiste, impuissant, au démantèlement de la manufacture. Une catastrophe ! En quatre heures, six étages de bureaux, d'ateliers, de machines, d'outillage, de pièces, de calibres, de boîtiers, d'archives, sont dispersés au vent d'enchères menées à la vitesse d'un express. Claude rachète...une armoire, qui trône toujours dans son bureau. Le lendemain, il parvient, après d'âpres débats, à racheter pour une bouchée de pain la marque Auricoste. Tout est à reconstruire.

Flanqué de Pierre Auricoste, devenu son salarié, il prend la route : Cherbourg, Brest, Toulon. Sa réputation d'homme d'affaire sérieux et la présence de Pierre lui permettent de renouer les contacts que celui-ci entretenait avec la Marine. De nouvelles commandes sont passées et quelles commandes !

Aussitôt, Claude envisage la création d'une nouvelle société, à laquelle il associera, à 50/50, son nouvel ami, Pierre Auricoste, métamorphosé en doux agneau après sa déconfiture. Les bases de cette nouvelle entité sont jetés, les actes préparés. Rendez-vous est pris pour conclure mais rendez-vous reporté de quelques jours, car Auricoste doit subir une intervention bénigne de la cataracte.

En décembre 1982, il entre à l'hôpital. Le lendemain, il décède sur la table d'opération.

Claude Tordjmann est sonné, mais il reprend ses esprits et ses activités. Il est à la tête de la Société Thormann, qui vend les chronomètres Hanhart et de la Société Auricoste, qui n'a rien à vendre mais qui a un carnet de commandes bien rempli et qu'il doit honorer. Il rassure ses partenaires de la Marine, puis contact est repris avec Jack Heuer. Dans le cadre de la société Auricoste, un accord est vite trouvé pour la création d'un réseau de vente des chronos Heuer et des montres Spirotechnique.

Jack Heuer

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Malheureusement Heuer est en difficultés financières. La manufacture est rachetée par Mansour Oggéh qui est totalement étranger à l'horlogerie mais veut faire connaître le nom de l'entreprise familiale, Technique d'Avant Garde, TAG) au grand public. Heuer devient TAG Heuer et Claude Tordjmann le représentant pour la France.

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Spirotechnique TAG Heuer

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Hélas, Le directeur Général, Willy Gad Monnier, le plus brave homme du monde mais dont le sens de la gestion est fort discutable, doit quitter la direction de TAG Heuer. Nouvelle direction, nouvel organigramme, Tordjmann se retrouve sur la touche...

Willy Gad Monnier

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Et nous revenons aux pianos. Pianos? Mais si, souvenez-vous, ce marchand de pianos que je recherchais, rue Fondary, en novembre, quand j'ai commencé de cette histoire? Et bien, le marchand, c'est Claude Tordjmann ! Étonnant non ? Auricoste-Pianosphère, c'est le nom. En effet, un sien locataire ayant entrepris de ne payer ses loyers qu'avec des chèques en bois, puis ayant déposé le bilan avant de décamper sans tambours ni trompettes, Claude Tordjmann accepte de reprendre l'entreprise et le personnel pour vendre des pianos haut de gamme (c'est le cas de le dire) Fazioli en même temps que des montres. CQFT (Ce Qu'il Fallait Trouver)

Piano Fazioli

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L'aventure pianistique ne dure qu'un temps et Claude Tordjmann décide de ne se consacrer qu'à Auricoste. Il confie un bref moment la fabrication de la Spirotechnique à son ami, l'ancien Directeur de TAG Heuer, Willy Gad Monnier sous la marque Zodiac.

Spirotechnique Zodiac

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Mais ce dernier est toujours un déplorable gestionnaire et Zodiac s'écroule. Claude fait alors assembler ses montres en Suisse, sous le nom Auricoste. Les Spirotechniques Auricoste se vendent à la Marine, jusqu'à ce que les crédits militaires se réduisent comme peau de chagrin.

Spirotechnique Auricoste Marine Nationale

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La fin semble proche : le dernier réseau de l'heure devant être monté sur la sixième frégate furtive programmée ne sera jamais livré, le projet de construction du sister-ship du porte-avion « Général de Gaulle » est abandonné, la vente des Spirotechniques s'effondre jusqu'à moins de cinquante exemplaires par an...

Qu'à cela ne tienne. A 78 ans, Claude Tordjmann décide de relancer à tout prix la marque qui lui tient au cœur en l'ouvrant au grand public. Son fils redessine très subtilement la type 20 et la Spirotechnique pour les mettre au goût du jour, il crée le Type 52 et quelques séries limitées. L'une de ces dernières est actuellement en cours de gestation.

J'arrive enfin à l'issue de cette longue histoire. Que ceux qui m'ont lu jusqu'à ces lignes soient remerciés, ainsi que ceux qui toléreront mes emprunts photographiques. Je remercie particulièrement le Commandant d'une frégate anti-sous-marine qui m'a passé ce message :

Belles pages sur une grande marque française, merci. A bord de mon bâtiment (une frégate de lutte anti-sous-marine) tous les équipements, toutes les horloges et chronographes du navire sont Auricoste. "The French Navy watch company" me semble presque plus connue et appréciée à l'étranger que chez nous , c'est dommage.

Je conclurai sur une question :

Auricoste, cinq ans après son nouveau départ ne vend que quelques centaines de chacun de ses modèles par an. Les calibres embarqués sont des ETA. On connaît la politique du groupe Swatch. Alors, Auricoste peut-il survivre ?

Posez vous-même la question à Claude ou à Laurent Tordjmann, son fils et successeur désigné, vous saurez ce qu'optimisme veut dire.

Claude Tordjmann

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Une des « Spirotechnique » de la nouvelle gamme

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Une des « Type 20 » modernes

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Une des « Type 52 »

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Je tiens beaucoup à ma montre, c'est mon Grand Père qui me l'a vendue sur son lit de mort (W. Allen)


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