S.A.V. Histoire triste (Général)

posté par capitaine56 , Toujours près de la mer, 23/10/14, 18:13

Attention ; Comme d'habitude, c'est long. Ami paresseux, passez votre chemin. Les courageux, prenez un temps de pose au creux de votre fauteuil, munissez-vous d'une boisson reconstituante, d'un éventuel en-cas et lisez cette triste histoire.

Voici quelques mois, un chronomètre Seamaster calibre 1040 me fait soudain défaut. Le traître refuse catégoriquement de remettre à zéro la trotteuse centrale, malgré mes plus ardentes et néanmoins délicates sollicitations. Bien qu'il ne soit pas mon favori, je le traite comme toutes mes montres: avec un amour et un regard de père.
Décision est donc prise de transporter le malade à l'hôpital le plus proche et, tant qu'à faire, dans un hôpital hautement spécialisé. Le distributeur de la région nantaise est donc sollicité en urgence. Deux mois s'écoulent et je suis convoqué par téléphone pour venir écouter le diagnostic.
L'hôtesse, charmante comme toute hôtesse de bon ton, me fait part des conclusions des doctes savants qui se sont penchés sur le malade :
« Ah ! Cher monsieur, voici le devis qui nous a été transmis de Besançon (Doubs). Il faut remplacer les poussoirs, les joints, le verre, la commande de remise à zéro, la couronne, nettoyer l'ensemble du calibre, le remonter, comme vous vous en doutiez.
-Mais oui, cher Madame, ce n'est pas la première montre que je fais opérer à Bienne, je m'attendais à cela. Quel sera donc le coût de la délicate opération ?
-Mais, cher Monsieur, ce n'est pas tout !
-Ah ?
-Que non, que non : il faudra également repeindre le cadran.

Je demeure saisi quelques instants, puis je parviens à me reprendre :

« Mais qu'a-t-il donc, mon cadran ?
-Il est à repeindre.
-Mais pourquoi diable est-il à repeindre ?
-Parce qu'il est usé.
-Usé ? Mon cadran ? Mais où donc ?
-Partout.
-Vous plaisantez? M'étonnais-je.
-Que non point. Il est indispensable de repeindre ce cadran.

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CI-dessus le cadran à repeindre


-Et pourquoi, je vous prie ?
-Parce que, s'il n'est pas repeint, la poussière qui le macule risque de tomber dans le mouvement et d'enrayer celui-ci.
-Oh ! Oh ! Si je comprends bien, il faut repeindre pour ôter la poussière ?
-Oui.
-Et on ne saurait ôter la poussière sans repeindre ?
-Non.
-Ciel ! Et ne peut-on envisager de remplacer ce cadran pourri ?
-Non.
-Pourquoi ?
-Parce qu'on ne peut pas.
-Ah ! Ah ! On ne peut pas. Puis-je, s'il vous plaît, voir le devis ?
-Non. C'est un document interne.
-Un document interne, mon devis que j'ai demandé moi-même et en personne pour connaître le montant dont sera délesté mon porte-monnaie pour réparer mon chronomètre ?
Oui. Mais je peux vous donner le total. Il s'élève à mille deux cent cinquante euros.
-Pardon ? Excusez-moi, mais j'entends mal.
-Mille deux cent cinquante euros, élève-t-elle le ton, dont sept cents euros de peinture.
- Sept cents euros de peinture...Et si je refuse de repeindre ?
-Vous ne bénéficierez pas le la garantie.
-Et si je me passe de la garantie ?
-La maison mère refusera d'effectuer les travaux.
-Parce que c'est la maison-mère qui va repeindre le cadran ?

Piégée (enfin) la charmante hôtesse hésite et lâche :

« Non, un cadranier.
-Alors que vient faire la garantie là-dedans ? M'agaçais-je un tantinet. »

La beaucoup moins charmante hôtesse, exaspérée par mon stupide entêtement à comprendre le pourquoi du comment des choses, appelle à son secours l'hôtesse-chef à qui elle expose le problème. La solution jaillit :

« Bien entendu, vous pouvez ne pas repeindre le cadran.
-Parfait.
-Vous n'aurez pas de garantie.
-Qu'importe.
-Mais nous n'effectuerons pas le travail car la maison-mère refusera.»

Et toc.

Le débat est clos. On ne me remet pas le devis, malgré mon insistance. J'ai le droit de le contempler, à distance suffisamment grande pour que je ne puisse pas m'en emparer. Je repars en me jurant bien que je trouverai une solution sans repeindre mon cadran, non mais des fois !

Et la solution est venue. Il existe, dans un coin bien caché, sur les bords du canal de Nantes à Brest, une petite ville qui s'appelle Blain. Dans cette petite ville, existe encore un horloger dont j'ai appris par une relation qu'il est réparateur agréé Oméga. Je m'y transporte toutes affaires cessantes et l'interroge :
« Vous êtes réparateur agréé par Oméga ?
-Si fait.
-Mais je croyais que cela n'existait plus ?
-Que si.
-Vous pouvez donc vous pencher sur le cas de mon malade.
-Bien sûr.
-Vous avez les pièces ?
-Si je ne les ai, je les aurai.
-Et devrai-je envisager de repeindre le cadran ?
-Que non.
-Et je bénéficierai d'une garantie ?
-Oui-da.
-Et quel sera le montant de l'opération ?
-Et bien, nous effectuerons en démontage complet, un nettoyage de l'ensemble changerons le verre, les joints, la pièce défectueuse, avec des éléments d'origine, bien sûr. nous remonterons le tout et le tour sera joué. Cinq cents cinquante euros, toutes taxes comprises. Cela s'appelle un rhabillage. »

Voilà voilà voilà.

Il y a quelques jours, je reçois un appel de mon réparateur agréé. L'objet est prêt et pète la santé. Le réparateur beaucoup moins.

« Mais qu'avez-vous, brave réparateur ?
-Je suis bien chagriné, cher client : Oméga me retire mon agrément.
-Et pourquoi diable ?
-C'est en raison de leur nouvelle politique commerciale. Il y aura maintenant quatre niveaux d'agrément. Le premier pourra, à la rigueur, commander des accessoires, tels que des bracelets, des pompes, des boucles, des fermoirs. Le second, moyennant une rétribution versée à la maison-mère, sera en mesure de passer commande de boîtiers ou de couronnes, par exemple. Quant au troisième, il devra s'équiper en outillage imposé par la marque, suivre un stage de formation et s'acquitter d'une obole dont un modeste artisan comme moi ne se remettra que dans quelques années, s'il se met au pain sec et à l'eau. Le quatrième c'est le distributeur agréé dont vous connaissez un spécimen. »
Voilà. J'ai fini la triste histoire d'un chronomètre en panne, d'un distributeur agréé et d'un modeste réparateur de campagne. Comme le très brave homme m'a beaucoup plu, je tenais à vous narrer cette aventure et à y joindre les photos qu'il a, sur ma demande expresse, réalisées de son travail.
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Son adresse ? Bijouterie-horlogerie CHEVAL à Blain, 44130
Publicité gratuite et désintéressée.

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Je tiens beaucoup à ma montre, c'est mon Grand Père qui me l'a vendue sur son lit de mort (W. Allen)


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