C'est l'histoire d'une île... (Articles)

posté par capitaine56 , Toujours près de la mer, 21/09/14, 19:38
(Modifié par capitaine56 le 21/09/14, 19:58)

C'EST L'HISTOIRE D'UNE ILE...

Oui, je sais, je vous en ai déjà servie une l'an dernier à la même saison, mais, que voulez-vous, lorsque l'on se déplace en bateau, on rencontre davantage d'îles que de gares de chemin de fer. Pourtant, il y a aussi des pendules dans les gares de chemin de fer, mais là n'est pas mon propos. Je vous parle d'une île. Sur cette île, il y a une église, un clocher et une horloge. Je ne suis donc pas hors sujet.

C'est donc de l'histoire de l'horloge de l’église de la capitale de l'île que je souhaite vous entretenir. Commençons par le commencement. Devinette : de quelle île s'agit-il ? Premier indice : c'est une île sur laquelle presque tous les propriétaires terriens se sont découverts un beau matin imposables sur la fortune du seul fait qu'ils possédaient un lopin de terre et un semblant de maison. Vous voyez de quelle île je veux parler ? Non ? Je vous aide : c'est une île où le prix du kilogramme de maquereau (qui pullule dans ces eaux) est plus élevé que celui du kilo de bar de ligne sur le continent. Vous ne voyez toujours pas ? Encore quelques indices : les nantis et intellos écolos y circulent à vélocipède et en bermudas tandis que les ânes y portent des culottes. Le commun des mortels roule en Méhari ou en béhème. Le port de plaisance est si encombré qu'on se demande vraiment comment on a bien pu y entrer et comment on va pouvoir s'en extraire autrement qu'en coulant les voisins (qui, tout en caressant le même projet, reluquent avec angoisse votre étrave). Un vieux Maréchal de France qui avait mal tourné y a terminé ses jours. Les vacanciers y font des séjours bien plus courts que les résidents du pénitencier. Bref, c'est Ré, quoi.

A Saint Martin de Ré, capitale administrative, il y a une église. Enfin, une église...des morceaux d'église. Un église façon « visite de la chapelle » par le regretté Jacques Dufhilo (que ceux qui ne connaissent pas ce vieux sketch le recherche sur le net, ça vaut le détour). En effet, on peut affirmer que cette église a subi quelques vicissitudes tout au long de son existence.

Résumons les événements essentiels : le premier lieu de culte est pillé et rasé, ainsi que toutes les habitations de l'île par des Normands commandés par un certain Hastings, en 848.

La seconde église, romane, érigée au XIème siècle est détruite pour bâtir au détour du XIVème siècle un édifice gothique que l'on n'oublie pas de fortifier, au cas où. Les travaux traînent en raison des désordres de la guerre de cent ans.

A peine la construction terminée, au cours du XVème siècle, quelques divergences de points de vue entre protestants et catholiques font que le bâtiment est l'objet de destructions successives, les huguenots abattant les statues des saints, les cathos démolissant le temple, jusqu'au jour où ils croient l'emporter et retapent vaille que vaille leur lieu de culte.

Au début du XVIIème siècle, en 1629, on remet l'ouvrage sur le métier afin de donner un aspect définitif au lieu. C'est sans compter sur la flotte anglo-hollandaise qui traîne dans le coin à l'affût d'un mauvais coup et qui se fait une joie, en 1696, de bombarder le bel ouvrage rien que pour embêter Louis XIV.

Enfin, au XVIIIème siècle, on pense avoir achevé les travaux, mais il doit y avoir un vice caché quelque part, car, patatras, le clocher se casse la figure en 1774, entraînant dans sa chute une partie de la voûte. Bien que la garantie décennale n'aie pas encore été inventée, on restaure. A peine les dégâts réparés, surviennent les Sans-culottes de la Révolution qui interdisent toute forme de culte religieux, catholique ou protestant. Les gens du Directoire utilisent les lieux comme prison, grange, écurie, tous usages pour lesquels ils n'avaient guère été conçus. On déporte sur l'île plus d'un millier de prêtre réfractaires qui ont refusé de prêter serment à la République.

Le XIXème siècle apporte enfin un peu de calme, on répare derechef tout en laissant en place une partie des ruines car on ne sait trop qu'en faire et l'on décide, lors de ces travaux, de déplacer le chœur, qui, de l'Est, passe à l’Ouest, ce qui, si je ne me trompe, est assez peu courant. Sur ces morceaux de patchwork religieux, il manque quelque chose : l'heure. En 1933 on entreprend de combler cette lacune. On confie la tâche de construire une horloge à l'entreprise Lussault, campaniste à Tiffauges, qui réalise l'objet que j'ai le plaisir de vous présenter.

Né en 1842, à Marçay, Gabriel Lussault est d'abord un artisan menuisier. En 1865, il construit sa première horloge, un prototype en bois. Inspiré, il se lance dans la fabrication de mécanismes destinés à donner l'heure. Pas des mignardises comme ceci :


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(C'est une Le Coultre)

Ni des objets comme cela :

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(C'est une De Belle qui sonne, collection à moi)

Pas plus que des bricoles comme celle-ci :

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(Œuvre de Calo Marochetti et Louis-[i]Marie Moris, galerie Chandelaud)[/i]

Non. Il y va de bon cœur et, hardiment, réalise de menus broutilles comme celle que vous pouvez voir ci-dessous et qui est le sujet de mon bavardage d'aujourd'hui :

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(Face nord)


En 1872, il vend son premier modèle d'horloge monumentale. Associé à son frère Jean-Pierre, il persiste avec succès dans cette voie, jusqu'à équiper, entre autres, l'église de la Madeleine à Paris ou la basilique de Lourdes, à laquelle il a offert son prototype en bois. Depuis lors, l'entreprise, restée familiale pendant cinq générations, n'a pas cessé de construire de grandes horloges d'édifices,ou de les restaurer telle celle de la cour de marbre du château de Versailles. La preuve, c'est aujourd'hui l'en-tête de sa page d'accueil :
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Et ça, c'est une image extraite de son site :
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Elle est également intervenue au Mont Saint Michel, au Louvre et dans de nombreux pays étrangers. Aujourd'hui diversifiée, elle produit également des chronomètres électroniques pour le sport. Il était donc évident que l'on se tourne vers la fabrique Lussault, implantée dans la région, pour réaliser l'horloge souhaitée. La commande est reçue par les fils des fondateurs, Henry et Gabriel, entre-temps installés à Tiffauges, tandis que le site de Marçay continue parallèlement son activité jusqu'à la seconde guerre mondiale.

L'horloge de Saint Martin de Ré arbore extérieurement trois cadrans blancs à décor vert, aux aiguilles noires et aux chiffres romains, visibles de l'Est, du Nord et du Sud.

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(Face sud)

Elle commande trois cloches pré-existantes depuis la fin du XIXème siècle dont la plus grosse, Marie-Joséphine-Elisabeth, sonne en ré (logique !), la moyenne, Charles-Catherine, en mi et la petite, prénommée en toute simplicité Marie-Pierre-Michel-Samuel-Augustine, en fa. Le remontage manuel du mécanisme, de même que la mise en branle des cloches nécessitant certains efforts, Lussault électrifiera l'ensemble dans les années cinquante. Crac, en 1964, l'église prend feu et il faut refaire la charpente et la toiture. Je serais prêt à parier que le Bon Dieu ne porte pas une attention particulière aux efforts des Rétais pour Lui offrir une église, mais il ne m'appartient pas d'en juger. Je Lui poserai la question si un jour Il accepte de me recevoir en Son Paradis. On reconstruit de nouveau. Par chance (miracle?) l'horloge n'a pas été touchée et elle continue à donner bravement l'heure.

A propos d'heure, les concepteurs de chez Lussault, avaient eu une idée : ils avaient construit un quatrième cadran donnant à l'intérieur de la nef, ce qui est peu courant. Manque de chance, ce cadran, installé à l'Ouest du clocher, indiquait l'heure dans le dos des paroissiens et de l'officiant, puisque vous avez lu plus haut que l'assistance et l'autel étaient tournés dans cette direction. Pas bien pratique, tant pour l'assistance, qui attend l'heure de l'apéro, que pour le prêtre qui ne peut surveiller la durée de son office. Survient le Concile Vatican II qui bouleverse le cérémonial et qui, entre autres, demande aux prêtres de faire face à l'assistance. Ceci se révèle un avantage, car le curé peut avoir l’œil sur ses ouailles et veiller à ce qu'un quelconque mécréant ne se défile avant le « ite missa est » et même un double avantage à Ré où le célébrant peut également vérifier qu'il n'a pas pris de retard entre l'introït et l'élévation et qu'il a tout loisir en conséquence de distribuer les hosties sans avoir à craindre d'être en retard pour la prochaine messe.

Comme tous les visiteurs de l'église, je n'ai pas manqué de grimper au sommet du clocher d'où l'on découvre un beau panorama sur l'île. Comme bien peu de visiteurs de l'église, je me suis arrêté à mi-escalier pour y admirer le mouvement de l'horloge. Certes, il ne s'agit pas d'un mécanisme à l'esthétique raffinée comme celle que tous les chrono-maniaques portent au poignet tout particulièrement le vendredi, mais je me suis permis de vous en proposer quelques modestes photographies réalisées dans des conditions plutôt difficile, bousculé que j'étais régulièrement par l'incessant flot montant des touristes, puis par le reflux de ces mêmes visiteurs hâtifs qui ne pensaient même pas à jeter un regard sur le mouvement à leurs yeux offert, mais qui ne manquaient pas de pousser force cris d'effroi lorsque Marie-Thérèse et ses petites sœurs s'avisaient de sonner l'heure et de jeter aussitôt, dans un geste reflex, un regard sur leur montre-bracelet, pour bien vérifier qu'il était temps de se dépêcher en direction de la plus proche terrasse de bistrot.

En attendant que l'heure de l'apéritif sonne également pour votre serviteur, permettez-lui de vous infliger les quelques images ci-dessous.

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(Face Est)

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(Dos du cadran donnant dans la nef)



Quelques vues du mouvement :


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Électrification :

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Signature du cadran électrique
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Quelques vues des cloches:
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Mode d'emploi:
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Certificat d'origine:
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Boîte et sur-boîte:
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Goodies
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Dingue donc...

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Je tiens beaucoup à ma montre, c'est mon Grand Père qui me l'a vendue sur son lit de mort (W. Allen)


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