Voulez-vous que je vous dise ? Il ne faut jamais entamer une conversation avec son horloger. Surtout s'il vient pleurer sur votre épaule :
« Ah ! Cher client, les affaires ne sont plus ce qu'elles étaient ! Je vends des piles, beaucoup, des montres, pas mal, je répare, je suis même débordé, mais les montres anciennes, pfft...
Regardez, cher client et néanmoins ami, toutes ces belles montres de gousset, aïe, aïe, aïe ! Les clients préfèrent les G Shock. Heureusement que je ne vends pas de Festina, ils seraient capables de m'en acheter !
-Mais elles sont très bien vos montres de gousset. Comment se fait-il que vous n'en vendiez point ?
-Parce que les clients veulent des montres-bracelet, pardi ! N'est-ce pas pitoyable ? Alors qu'une jolie montre de gousset douillettement glissée dans le gousset de votre gilet, avec sa chaîne, c'est bien plus beau, non ?
-Je ne sais pas. Je ne porte plus de gilet depuis ma première communion.
-Moi si, Monsieur, vous le voyez bien, et je porte une montre de gousset, avec sa chaîne, en plus de ma montre-bracelet, mais je n'arrive pas à la vendre, ma montre de gousset, alors j'ai pris une décision : à la casse, les montres de gousset.
-Oh !
-Parfaitement !
-Oh !
-Oui Monsieur, même le chronomètre LIP.
Et le chronographe LIP...
Même l’Oméga !
Et la Longines !
Et toutes les autres ! Toutes ! Pas une n'en réchappera !
-Non ?
-Aucune, vous dis-je, aucune ! Et même celle-ci...à propos, bien cher ami et cependant client, vous ai-je montré celle-ci ? Non ? Alors permettez...
Admirez le bel objet :
-Oui, en effet, c'est sobre et élégant. Le diamètre est contenu. L'ouverture de cadran fort grande. J'aime assez les aiguilles en acier bruni. L'émail du cadran semble en bon état et d'une superbe teinte ivoire. Et la trotteuse trottine tranquillement.
-Absolument, absolument ! Elle fonctionne tout à fait comme il sied à ce genre de montre. Regardez mieux ! Voyez comme le verre est joliment bombé.
-En effet, je vois bien.
-Et maintenant, attendez deux secondes que je l'ouvre. Voilà-voilà. Contemplez !
-Ah oui... Qui est ce Booth ?
-I don't know. Mais regardez de plus près :
-Oui, oui, oui... je lis : Robinson, à Liverpool, c'est bien cela ?
-Yes it is.
-Who is this Robinson ?
-I don't know. Regardez d' encore plus près :
-Amusante, cette pierre sur l'axe de balancier.
-N'est-ce pas ? C'est un diamant.
Moi,surpris :
« Oh ! Oh ! »
Lui :
« Ah ! Ah ! » (triomphal, le « Ah ! Ah ! ») Et voyez en dessous :
-Cela semble bô ! Mais j'vois pas grand chose...
-Faites-moi confiance. C'est très beau. Ah ! Ah ! Ah ! (satanique, le « Ah ! Ah ! Ah ! ») A LA CASSE aussi.
-Non ?!
-Si !
-Oh ! Nooon...
-Si. Je le veux ! »
Un lourd silence s'abat. Avez-vous remarqué à quel point les lourds silences précèdent les pires décisions ? Tenez, je suis prêt à parier que si le Grand Organisateur Céleste décidait de supprimer les lourds silences, il y aurait moins de catastrophes sur terre. En tout cas, ce lourd silence me pèse et pour le faire disparaître, je pose la question qui tue :
« Et comment fonctionne cette petite chose ?
-Je vais vous montrer :
Dans un premier temps, vous sortez la montre de sa ,comment dirai-je ?, première coquille.
La mise à l'heure se fait en ouvrant le verre. Vous introduisez la clé sur le carré positionné sur l'axe des aiguilles.
Il n'y a plus qu'à tourner. Ceci évite d'avoir deux orifices au dos de la montre. l'orifice en haut à gauche du dos, sert au remontage du mouvement, remontage qui s'opère avec la même clé.
-Avez-vous vu comme elle est mignonne, la clé ? En or aussi, avec une agate d'un côté et une pierre d'un beau vert foncé de l'autre.
-C'est quoi, cette pierre vert foncé ?
-Je l'ignore, mais de toute façon, hein, pour partir à la casse... (rire sardonique, façon « la Marque Jaune » : HA! HA! HA! HA!) »
Et voilà comment, par un beau jour de juin, alors que je ne demandais rien à personne, je me retrouve bêtement propriétaire d'une montre de gousset britannique par la faute d'un machiavélique horloger.
A bas l'industrie horlogère britannique ! A bas les montres de gousset ! A bas les horlogers !
Maintenant que la faute est commise, il faut l'assumer et aller jusqu'au bout des choses. Deux questions se posent :
-Who is Mister Robinson from Liverpool, Merseyside (ex Lancashire) United Kingdom ?
-Who is Mister Booth from Rochester, New York, USA ?
Comme le dit si bien mon horloger :
« I don't know. »
Et bien, cherchons. A moi les sites horlogers de la Perfide Albion et de l'ex-colonie britannique !
Je m'en doutais : Albion est bel et bien perfide. Vous n'imaginez pas le nombre de Robinson qui ont sévi dans le watchmaking du port de Liverpool depuis la nuit des temps horlogère. Force m'est donc de procéder par élimination. Partant du principe que la montre qui me nargue semble, à vue de nez, du XVIIIème ou du XIXème siècle, j'élimine a priori tous les Robinson antérieurs. Après mûre réflexion, je décide de supprimer de même tous les Robinson du XVIIIème et de me cantonner au XIXème siècle.
Me voici rendu sur le site du National Museum de Liverpool. Bonne pioche : il n'y a QUE soixante et un (61) Robinson watchmaker à Liverpool entre 1800 et 1900. My God ! Qui, de Alfred à William a commis cette montre ?
Bien sûr, le « Wm » précédant le nom « Robinson » peut être pris pour les initiales et la terminaison de « William ». Las, cela signifie simplement « Watchmaker ».
Heureusement pour moi et mon article, il existe un site qui s'appelle « National Association of Watch & Clock ». De là viendra, peut-être la lumière. De fait, je tombe sur un long débat, digne des plus acharnés et érudits Chronomaniaques, où l'on évoque avec autant de passion que de pertinence les montres Robinson. Touché-je enfin au but ? Que non point !
Il semble s’avérer, de prime abord, que le Robinson que je cherche se prénomme William, preuve qu'il y a un ,comme je le craignais, une possibilité de jeu de mots entre « William » et « Watchmaker ». Okey...mais ils sont voyons voir : un, deux, trois, quatre...neuf. Neuf William watchmakers au XIXème siècle à Liverpool, dont au moins trois sont de la même famille (Pépé, Papa et Fiston)! Heureusement, l'un des susdits érudits du forum « Watch & clock » est allé au fond des choses. Il ressort de son étude que le Watchmaker recherché serait le N° 3 de sa liste.
Admettons et n'en parlons plus. N'empêche que ce brave William number three avait la bougeotte : pas moins de cinq adresses professionnelles de 1847 à 1865, date à laquelle il disparaît des cadres.
A partir de là, je décide de mettre fin à mes recherches de ce côté-ci de l'Atlantique. Nos amis spécialisés en montres de gousset sauront, j'en suis sûr, combler mes lacunes.
En route pour le Nouveau Monde !
D'un coup d'aile, nous voici à Rochester, comté de Monroe, état de New York. Nous sommes dans la région des Grands Lacs, mais je sens que je ne vais pas m'y noyer : Rochester est jumelée avec Rennes, notre bonne capitale bretonne, et ce jumelage m’apparaît comme un signe du destin. Bingo !
De mister Booth, je découvre tout.
Son portrait, d'abord :
Sa maison ensuite, sur North Clinton Street:
Suivie de sa dernière demeure :
Sa raison sociale :
Un exemplaire de ses œuvres :
Avec sa signature :
Et sa biographie :
D'où il ressort que notre cher défunt était un horloger actif, un bon chrétien et un membre influent de la Ligue pour la Tempérance, ce qui n'est pas forcement du goût de chacun, but nobody's perfect.
J'en conclurai donc que E.B Booth complétait ses fins de mois en vendant, entre autres, les montres de William Robinson.
Tout ceci est fort intéressant, me direz-vous peut-être, mais comment une montre produite à Liverpool vers 1840, vendue à Rochester avant 1865 a-t-elle pu refaire surface en 2015 dans la ville de Nantes ?
A cette pertinente question, je répondrai :
« Y don't know. »
[size=14] [/size] --- Je tiens beaucoup à ma montre, c'est mon Grand Père qui me l'a vendue sur son lit de mort (W. Allen) |